Coup de coeur > Petit caillou > Jusqu’à la moelle
18 novembre 2009

Je ne me souviens pas exactement du jour où elle est entrée sur la liste d’attente. Je me souviens du jour où elle en est sortie : c’était un beau dimanche d’été et l’après-midi ensoleillée tirait à sa fin. Ses nouveaux poumons n’étaient toujours pas arrivés. Ses anciens ne pouvaient plus attendre.

Ils existaient pourtant, ces nouveaux poumons, sur un corps qui n’en avait plus besoin mais dont le propriétaire avait omis de signifier qu’il voulait sauver une vie. Devenir un héros.

Nous en sommes pourtant abreuvés, à grand coup de journaux et de fictions, de ces héros ordinaires faisant le sacrifice de leur vie pour les autres alors que pour sauver une vie, des vies, en perdant la sienne, il n’est nullement besoin de sacrifice. Il suffit simplement de le vouloir et de le prévoir. La préméditation d’un acte d’héroïsme n’est-elle pas encore plus belle ? Une seule personne peut ainsi facilement sauver plusieurs vies avec des parties de soi qui retourneraient à la poussière. C’est un beau moyen de donner un sens à une mort souvent accidentelle. Souvent tellement stupide.

De toutes les personnes en attente de poumons que j’ai connues au début de cette année là, trois n’ont pu atteindre les 1098 jours que les greffés des poumons ont, eux, en moyenne attendu.

Elles étaient filles, femmes, aimées. L’une était mère d’un enfant qui ne marchait pas encore. Elles avaient le droit de vivre, de grandir sous l’oeil de leurs parents, d’être heureuses et de faire rayonner le bonheur autour d’elles, de voir grandir leur enfant. Au nom de quel principe nierait-on à cet enfant le droit de connaître sa mère ?

Donner de soi

Malgré toute l’empathie que j’ai pour mon prochain, je n’ai jamais vraiment réussi à comprendre ceux qui sont d’accord avec ce que je viens de dire, et qui ne peuvent se résoudre à simplement donner. Car donner de soi, au sens propre, ne nécessite même pas de mourir, ni même de donner beaucoup de son temps.

Par exemple, le sang peut être donné un peu partout, en moins d’une heure, même sur le lieu de travail, ou le parking en face, sous les yeux d’un employeur qui peut difficilement vous reprocher votre absence pour ce motif. En échange, vous avez des pâtes de fruit à l’oeil. Et même un sandwich. Et la satisfaction de vous dire que vous allez sauver une vie qui pourrait bien être la votre.

Ah, je crois que j’entends l’excuse numéro 1 au fond de la salle. Moi non plus, je n’aime pas les aiguilles, alors j’ai un truc : tourner la tête empêche de tourner de l’oeil. C’est aussi simple que ça. Fermez les yeux, relaxez-vous.

Vous avez bien une petite heure pour sauver une vie ?

Sauver une vie, ce n’est pas simplement permettre à une personne de vivre, c’est aussi sauver ses rires, ses bonheurs et tous les rires et les bonheurs qu’elle provoque aux alentours. C’est aussi et surtout combler la vie de tous les autres.

Ceux qui sont déjà familier avec le don de sang ont entendu parler du don de plaquettes, plus gourmand en temps, en organisation. Mais avez-vous déjà envisagé le don de moelle osseuse ?

Voilà une démarche simple, peu coûteuse en temps – un entretien médical suivi d’une prise de sang – pour un don hypothétique peut être une fois dans votre vie. Le jour où l’on vous appellera, ce sera pour sauver une personne qui en a besoin tout de suite. Arrêtez de rêver devant les feuilletons américains ; les vrais héros, ce sont ces donneurs là.

Bien finir

7 juin 2002, dans l’après-midi, à Londres, le quartier de Covent Garden est étrangement calme. Je revois très bien le visage, même si je n’ai plus le prénom, de cette fillette atteinte de mucoviscidose (fibrose kystique) dont le combat pour avoir de nouveaux poumons fait la une des journaux depuis plusieurs jours. Des poumons d’enfant. C’est tellement rare.

D’un seul coup, une immense clameur sonorise James street, immédiatement innondée d’une foule déglutie de tous les pubs alentours. L’Angleterre vient de remporter une victoire « historique » contre l’Argentine. 1 but de « magic » David Beckham à 0.

Le décès de la petite fille passera inaperçue dans les journaux du lendemain.

Décider de donner ses organes, c’est se renvoyer à sa propre mort, mais, comme pour un testament, ça ne fait pas mourir. Ou plutôt si, ça fait mourir. Mais ça fait mourir quelqu’un d’autre.

Je peux comprendre que le cheminement intellectuel menant à dire à ses proches « S’il m’arrive quelque chose, je veux faire don de mes organes » soit complexe et la France accuse un beau retard dans l’assistance à la décision. La carte de « donneur potentiel » qui gît dans mon portefeuille m’a été remise dans un recoin perdu de la foire de Paris. Comme son nom l’indique, la foire de Paris est un beau bordel et il ne me serait jamais venu à l’idée de trouver cet objet au milieu des prétendants à un prix du concours Lépine ! A ce concours, la France ne serait même pas qualifiée pour avoir inventé l’assistance à la décision en matière de don d’organe.

Le Québec a est à ce niveau beaucoup plus proche de la médaille d’argent. Lorsque vous recevez votre Carte Soleil (équivalent de la Carte Vitale) un autocollant à signer et à apposer au dos de la carte vous est fourni pour marquer votre consentement. Les enfants ayant leur propre carte, j’ai ainsi pu signer celle de mon fils. Si nous devions décéder ensemble, ma volonté aurait ainsi pu être prise en compte. Pour certains organes, la rapidité sauve des vies, des bonheurs et bien des rires d’enfants.

Néanmoins, le système reste imparfait ; outre le fait que j’ai rencontré des gens qui ont trouvé le moyen de ne jamais lire le document joint à leur carte soleil et ignoraient donc cette possibilité, il semble que certaines personnes subissent au moment crucial, une sorte d’engourdissement du poignet et/ou des doigts préjudiciables à l’action de signer, comme à celle d’apposer un autocollant sur un morceau de plastique.

Alors c’est des Belges que nous aurions tout à apprendre. Ils ont repris pour eux l’adage simple, efficace, et de compréhension aisée : « Qui ne dit mot consent ». En pratique, tout citoyen ou résident Belge depuis plus de six mois en état de mort cérébrale est considéré comme donneur, sauf s’il s’y est opposé préalablement ou si sa famille s’y oppose. A ce denier titre, les résidents belges sont tout de même invités à faire un consentement explicite qui demeure facultatif.

L’action du donneur est donc conditionnée à la seule vraie question : « Ai-je des raisons de m’y opposer ? » et c’est la seule question que nous devrions jamais avoir à nous poser à ce sujet. Gageons que les personnes qui en ont trouveront facilement l’énergie nécessaire à faire enregistrer leur volonté !

Communiquer

Le cas Belge ne dispense néanmoins pas de l’action la plus évidente au sujet du don : en parler.

Certes, ce n’est pas un sujet facile à aborder entre deux plats, mais il est important que votre entourage n’ait pas à se poser la question, le cas échéant, de votre volonté.

Comme je suis serviable, je vous donne un truc :

  1. Aller donner votre sang.
  2. A la question « ça va », au lieu de répondre un machinal « ça va et toi ? », répondre « oui, j’ai donné mon sang aujourd’hui ».
  3. Ajouter « à propos, as-tu lu le dernier article de Un caillou dans mon soulier ? »

Je suis gentil, hein ?

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2 thoughts on “Jusqu’à la moelle”

  1. Merci Cédric…
    Encore une fois tes mots sont juste… parfaits !
    Je ne manquerai pas de diffuser le lien vers cet article… et continuerai de te lire assidument 🙂

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