Culture > Littérature > [Livre] Naissance des fantômes
2 novembre 2009

Son mari a disparu. Pourtant, ça ne disparaît pas comme ça un mari, d’habitude. Pas en allant acheter du pain. Pas juste comme ça, en revenant du travail, dans une ville côtière ou tout, simplement parce qu’un mari a disparu, va perdre son âme.

Elle perd son mari et le vide devient palpable, visible. Où se réfugie l’esprit lorsque son mari de sept ans, sans visage et sans passions suspectes disparaît ? Quelle introspection métaphysique naît de nos actions, ou de nos inactions, ou du murmure des vagues, ou du claquement d’un pétard, comme une porte refermée par un mari comme d’habitude, avec sa barbe de la journée, sa cravate défaite, et le pain qu’il aurait ramené ?

Fait-on le deuil d’un mari qui n’est juste pas revenu et dont le vide de présence peut encore avoir un pendant plein et vivant quelque part ailleurs ? Fait-on le deuil d’une vie banale avec un mari banal, ou la vie n’est-elle banale que depuis qu’elle s’est perdue ?

Quand s’effondrent les rêves auxquels on ne rêve plus que par mégarde et que disparaissent (comme ça, en allant chercher du pain) les repères auxquels on ne fait plus attention, la perception change d’acuité, l’insignifiant déborde et submerge le remarquable.

C’est la force de l’écriture de pouvoir décrire l’irréel, le ressenti, le mal vécu, la palpabilité du vide. L’écrivain et psychanalyste Marie Darrieussecq explore l’entre deux soi, ce monde où l’absence plonge l’endeuillé.

Il ne s’agit pas d’un ouvrage facile à appréhender. C’est une histoire qui ne va nulle part et qui n’a nulle part où aller. Une histoire de souffrance qui ne s’évacue pas où une odeur, un son, a plus de signification qu’une déposition à la gendarmerie. Dans l’air autour flotte l’hyper sensibilité au rien, l’indifférence au tout et peut-être, la forme d’un mari, comme un animal poilu à contre-jour, dans le halo de poussière. Si « Naissance des fantômes » était un film, tout l’arrière plan serait flou. Et le plan principal aussi, sauf parfois une cigarette, une fenêtre, un envol d’oiseau ou de poussière. Parfois une voix.

J’ai un peu de mal à savoir si j’ai aimé ce livre. J’en suis sorti comme j’espère que la narratrice sortira de sa douleur : un peu meurtri et pas certain d’avoir vraiment lu/vécu tout ça. Il y a dans le deuil ce moment ou la lumière réapparaît sur l’arrière plan de la vie et c’est ce que la narratrice ne trouve pas, perdue dans son attente de l’absent, juste disparu, comme ça en allant chercher du pain, même pas mort. Comme si d’avoir un peu vécu à côté de sa vie avant que son mari ne disparaisse l’avait propulsée dans les limbes, au pays des merveilles, à côté de la vie des autres, là où naissent les fantômes.

Repères

Naissance des fantômes de Marie Darrieussecq
Roman
P.O.L. éditeur – 1998

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