Culture > Littérature > [Livre] Un roman français
29 décembre 2009

Il n’a pas été très difficile d’attiser ma curiosité littéraire avec cet ouvrage primé. Tout comme la prescriptrice de cette lecture, je ne suis pas familier et encore moins fan de la grande anguille télévisuelle et poilue dont j’ai déjà, par hasard sans doute, lu les « Nouvelles sous ecstasy » qui ne m’ont laissé que leur titre en guise de souvenir.

Depuis, Frédéric Beigbeder, dont on ne sait jamais où placer le i dans le patronyme, sniffe de la cocaïne sur les capots de voiture devant des flics plus consternés qu’effarés (à moins que ce ne soit l’inverse). La consternation est aussi le sentiment qui m’aurait animé si l’on m’avait dit que j’allais lire le récit d’une enfance dorée aboutissant dans les cachots du palais de justice de Paris au moment même où le frère, témoin et compagnon de ladite enfance, vérifiait le revers du costume qui devait y voir épinglée la légion d’honneur.

Mais au lieu de nous plonger dans « l’autobiographie d’un pauvre gosse de riche », Frédéric Beigbeder utilise comme ressort curieusement subtil, la rencontre de son enfance avec ceux par qui elle est arrivée.

D’une prose sans style – ce qui doit être un style en soi – il décrypte son enfance enviable à l’ombre d’un frère trop parfait dont il serait le négatif et de parents trop silencieux dans leur passions jusque dans le divorce. Il réussit à effleurer les limites de l’exhibitionnisme sans y tomber, de la psychologie de comptoir sans s’y laisser prendre et celles de l’intimité, sans toutefois nous y laisser entrer.

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Ancien combattant au cimetière de Guétary (cliquez pour agrandir)

L’auteur déroule le texte d’une introspection comme exutoire à son enfermement et, ce faisant, celui de la déchirure de ces bourgeoisies et noblesses Françaises, catholiques et mortes pour la France, faisant peser le silence de deux guerres mal gagnées sur leur descendance en perte de repères. L’aristocrate s’embourgeoise, le bourgeois devient bohème et l’acuité du regard de Beigbeder au fond de son trou qui le délivre de sa liberté anxiogène, attriste presque.

Le parti pris de digresser sur un souvenir pioché au hasard déstructure l’ouvrage et lui permet d’éviter l’analyse sociale autant que de revisiter Dolto. Il en sort une oeuvre cohérente bien qu’aussi ordonné qu’un présentoir de fripier du 18ème arrondissement le premier dimanche des soldes, comme le serait finalement la pensée d’un écrivain en perte de contrôle.

Et c’est bien à un voyage intérieur que nous sommes conviés ; un pèlerinage à la recherche du souvenir, une tentative d’exorciser les regret. On y retrouve le charme de la province et l’engoncement des enfants modèles parisiens dans leurs cabans griffés, des jeunes amoureux, des héros de guerre enterrés au cimetière de Guétary, des résistants tardifs, des parents attentifs et cocus, des sauveurs de juifs antisémites, des soirées mondaines et des cailloux qui ricochent sur l’océan Atlantique, des verres de chocolat « Benco » ou « Poulain », le son égrillard et les couleurs fanées des spots publicitaires des années 70 et 80, de la bonne musique et de bons livres. C’est aussi une vision du courage monoparental, la mise en lumière de la face cachée de cette « France d’en haut » dont l’humanité est rarement mise en avant en littérature et dont la mutation a accompagné la croissance de l’auteur.

Il y a donc un pas-encore-auteur mais déjà narcissique, boulimique de culture et préservé au point de n’avoir jamais eu de combat à remporter qui se demande si l’on peut se remettre d’une enfance heureuse.

Il y a, enfin, le regret du silence héréditaire, exorcisé ici dans un monologue qui à défaut d’optimisme, sonne comme un témoignage et accouche du bonheur simple de l’enfance retrouvée et de la saveur cendrée des erreurs recommencées.

Repères

Un roman Français de Frédéric Beigbeder
Roman
Grasset – 2009

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