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11 mars 2011
Infans Sapiens - Jeux de guerre
Jeux de guerre

Certains lieux sont particulièrement loquaces lorsqu’il s’agit de dévoiler nos instincts les plus primitifs. Des stades de foot aux boites de nuit, ces lieux de désinhibition où les hormones s’expriment plus que l’éducation, celle-là même qui nous fait oublier notre animalité originelle, permettent aux primates qui sommeillent (mal) en chacun de nous d’offrir un spectacle qui laisserait pantois le moindre singe en liberté.

Le pire – ou le meilleur – endroit pour observer les instincts basiques de l’homo sapiens, est celui où s’ébattent des hominidés préformatés et pas encore inhibés, c’est à dire des enfants.

Une aire de jeux comme il en fleurit désormais dans à peu près n’importe quel parc est un passionnant lieu d’étude pour les anthropologues et de déprime pour les quelques philosophes convaincus que l’humain est naturellement bon – ainsi que pour les parents qui s’y gèlent les cacahouettes.
Car ces zones là sont des zones de guerre.

Commençons par le bac à sable, si vous le voulez bien. Là, le cul posé sur le sable froid, parfois humide, mais protégé par une couche de vêtement puis une couche de couche, elle-même parfois doublée d’une inconfortable couche de ce que la couche sert à récupérer, le petit humain joue, non pas avec les autres, mais en même temps que les autres, se servant des jouets rencontrés là, ne comprenant le concept de possession qu’en sens unique : “à moi”.

En face, l’enfant désirant jouer avec le même jouet (il ne voudra jamais jouer avec l’enfant disposant du jouet) adoptera deux stratégies, parfois concomitantes : Le pleur, action manipulatrice et politique visant à obtenir de l’ONU des frappes aériennes, ou, en cas d’échec ou d’inaudibilité de la requête sur la scène internationale, le coup de pelle dans le dos. Ou en pleine face.

Ce n’est qu’avec l’avènement de la propreté et donc la libération de son mignon postérieur du carcan hygiénique qui les lui chauffe que le petit d’homme adoptera un comportement moins irritable. Parallèlement, se développe le langage que l’on soupçonne d’aider à la communication. Le coup de pelle dans le nez se transforme en “c’est à moi”,” Non, à moi” et le plus convaincu des deux gagne le râteau. En cas d’égalité de conviction, un coup de seau dans la tête est toujours une valeur sûre pour remporter le pompon.
Le petit d’homme sent alors la nécessité de développer sa force de conviction. Ceux qui arrivent à exprimer leurs frustrations adoptent le langage et les autres leur capacité à viser plus juste et plus fort. C’est l’avènement de la diplomatie : “Si tu me le prêtes, je ne te donne pas un coup de râteau et je n’appelle pas mon grand frère.”

Lorsqu’il n’y a pas de camion benne à glaner, on peut penser que les relations seraient plus détendues, le bac à sable transformé en kolkhoze ou l’envie serait tuée par manque d’objet à envier. De fait, avec l’âge, le petit d’homme se socialise et accepte enfin d’envoyer un ballon dans les jambes de son congénère, du moment que celui-ci lui rend la pareille. Lors d’un raté, il y a de ça fort longtemps, l’un d’eux n’ayant pas voulu rendre le ballon, chacun des protagonistes a appelé ses copains (ceux qui se rendent le ballon entre eux) et de cet antagonisme enfantin est né le football, ce qui explique beaucoup de choses à commencer par les caprices d’une bande des touristes post-pubères en Afrique du Sud.

Tentons alors de donner un ballon à chaque enfant, ce qui semble a priori un excellent moyen de pacifier un goûter d’anniversaire, et voilà soudain que les ballons se dispersent, abandonnés par terre, pendant que les petits d’hommes se ruent vers la toile d’araignée (successeur textile de nos cages à poule) pour jouer à “pousse-toi de là que je m’y mette”, mais surtout à “Je le fais mieux que toi”. Le collectivisme a vécu. Là, les duels possibles sont innombrables : celui qui saute du plus haut, en avant, en arrière, qui passe là ou ça passe pas, qui monte le plus haut, qui sait faire le cochon pendu, etc… Le plus étonnant est que ces jeux de “celui qui a la plus grosse” – auquel semblent être restés bloqués le père Khadafi et sa descendance – touchent autant les garçons que les filles.

Encerclant cette marmaille, une armée de dresseurs répète les codes de vie en société – dis pardon, rend lui son ballon, dis au-revoir, ne joue pas avec l’eau ; il fait froid – avec la conviction de l’habitude, cette même conviction qui dirigera les petites filles vers les poupées, les petits garçons vers les voitures, qui donnera au combat quotidien pour montrer qu’on est meilleur que l’autre les allures policées d’une discussion amicale autour d’une bière et fera redescendre les adolescentes en mini-jupe montées en toute innocence (ou non) dans les hauteurs de la toile d’araignée.

C’est à cette armée de parents qu’est confiée la lourde tâche d’expliquer aux enfants que l’envie, l’agression, l’antagonisme et la guerre sont des jeux trop sérieux pour être joués par des adultes.

Il y a du boulot.

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