Démangeaison > Tabernacle
27 novembre 2013

Photo : Justin Ling
Photo : Justin Ling
Je crois qu’il est temps que l’ombre fasse place à la lumière. J’ignore si les Français sont prêts à entendre une vérité aussi déstructurante, un fait remettant en cause autant de certitudes, mais il faut que la vérité soit connue de tous : les Québécois ne disent pas “Tabernacle”. Sachez-le !

Les seuls Québécois que j’ai rencontré dans ma vie qui disaient “tabernacle” sont ceux qui imitaient les Français. Parce qu’il n’y a qu’un Français pour dire “tabernacle” avec un accent québécois tellement raté qu’il tire sur le belge. Arrêtez d’essayer et laissez faire Laurent Gerra.
Le mot “tabernacle” n’est pas un juron ; c’est un mot français désignant un élément fondamental de mobilier d’église. Or, le Québécois parle français. Dit-on d’un Wallon qu’il parle le belge ? Il n’y a pas de raison pour un francophone de jurer avec ce mot là. Vous m’objecterez qu’un Québécois ne jure pas ; Il sacre, mais cela n’est qu’un effet de style : un sacre, comme un juron, ne se dit pas ; il s’éructe. Et on n’éructe pas un “tabernacle”.

“Tabarnak” s’éructe bien mieux qu’il ne se dit. Même quand mon chum Éric désigne un maudit coin de plafond où nous avons passé quelques heures à placer une moulure de 3 ou 4 pouces de long en disant “Il y en a eu des tabarnaks dans ce coin là”, on sent encore la sueur, les angles tordus, les retaillages, les re-retaillages, les coups de crayon, d’X-acto, de marteau, et même la colle qui colle pas dans cette évocation. Ce que le Français prend pour une accentuation trop prononcée d’un mot connu est en fait un mot apparenté, mais différent. Ils sont comme ça, les maudits Français, surtout ceux qui sortent jamais de leurs frontières (le Club Med n’étant pas considéré comme un pays étranger, on s’entend-tu ?). Ils n’aiment pas ne pas comprendre alors ils critiquent, en rigolent ou inventent leur vérité qu’ils débitent avec leur horrible accent de vieux snob parisien qui m’a durablement traumatisé lorsque je l’ai entendu, c’est à dire perçu, pour la première fois. Oui, nous avons un accent pincé en cibol. Les Québécois disent qu’on parle avec la bouche en trou de cul de poule, pis je dois leur rendre cette justice ; ils ont pas tort.

Notez donc, chers concitoyens qu’entre “Oh boy!” et “Tabarnak!”, le Panthéon des sacres et noms d’oiseaux québécois est au moins aussi riche que celui du français de France. Coudon ! Les Français sont-tu assez niaiseux pour s’arrêter sur le mot le plus ordurier de la langue, et, en plus, ne pas être fichu de le dire correctement ? Croient-ils que les québécois sont tous des bucherons joviaux, sortes de Garou à chemise à carreaux qui se baladent bras nus par -40° en disant “tabernacle” quand le diable vient leur proposer un tour en canot ? Ça a pas de bon sens d’être bouché de même.
Tu serais surpris, mon chum. Viens-t’en faire un tour à Montréal, pis t’en trouveras des intellectuels fuckés, des métrosexuels crypto-gay et des robineux comme à Paris. Sache qu’avant de tomber sur une cabane en rondins, va falloir que tu marches un moment et que la première que tu rencontreras sera pour les touristes comme toé qui reconnaîtraient pas une marmotte morte sur l’autoroute ou l’odeur d’une moufette. Pis en été, tu apprécieras la chaleur proto-tropicale du Québec. Le sais-tu que Montréal est plus au Sud que Paris ? Qu’il y fait beaucoup plus chaud en été et que correctement couvert on s’y racornit moins les gosses par -10°C que sur le parvis de La Défense par +10°C ?

Montréal par Markus Hamaker
Montréal par Markus Hanaker

Les jurons sont sans doute les mots les plus vivants d’une langue. Pour les utiliser et les comprendre, il faut vivre la langue, ressentir ses mots. Leur utilisation est subtile, vivante et n’obéit à aucune règle grammaticale. Utiliser un juron d’une langue qu’on ignore, c’est comme porter un habit traditionnel dans un sommet du G20 : même avec la meilleure volonté du monde, on a l’air colon, pis pas qu’un peu. Il faut épouser le pays et en épouser la langue pour bien l’éructer. Quand bien même ce serait fait, sacrer avec l’accent Français ferait toujours bizarre à une oreille québecoise, mais beaucoup moins que de dire “tabernacle” au lieu de “tabarnak“.
Utilisons les bons mots pour jouer à armes égales avec le “putain de merde” qui amuse tant nos cousins d’en face qui ont bien du fun à nous le sortir avec un accent français tellement mal imité qu’il tire vers le maniérisme gay. Eux non plus ils l’ont pas pantoute ; faut qu’ils arrêtent d’essayer et laissent faire Stéphane Rousseau.

Il est tout de même bon de rappeler que le juron n’est pas à employer en toutes circonstances. Comme dans toute langue, il est vulgaire ou connoté et occasionnellement ordurier, surtout celui qui fait l’objet de cet article qui colle au palais à tel point qu’encore aujourd’hui, même si j’ai globalement rendu à ma vulgarité des saveurs françaises, il vaut mieux que ma douce belle-mère Québécoise ne m’entende pas quand l’asti d’marteau rencontre mon doigt.

7 thoughts on “Tabernacle”

  1. Bravo pour l’article ! Je pourrais le copier-coller en parlant de la Belgique qui a été ma terre d’accueil pendant 5 ans, et où j’ai découvert qu’on ne disait pas “une fois” à chaque fin de phrase, et que l’accent belge que nous, voisins français, tentons de faire pour raconter nos “blagues belges” à la fin des repas de mariage, ne ressemble à rien qui soit belge… Mieux encore, étant ch’ti, je suis atterré à chaque fois que j’entends quelqu’un essayer d’imiter l’accent du nord… Je me propose donc d’apporter une pierre pédagogique à ce billet en vous proposant 3 liens afin de peaufiner vos imitations pour le repas de communion du petit dernier …
    1 : le Québec, moi, c’est en les écoutant que je suis tombé amoureux de l’accent de nos cousins ! J’ai une grande admiration pour ce groupe, musiciens excellents portant les textes magnifiques de “dédé” Fortin : Les Colocs : http://www.youtube.com/watch?v=Zf3yaZOR8Ks&list=PLE0E246D1DB885520
    2 : petite leçon de belgitude et de belgicismes avec les meilleurs ambassadeurs : les Snuls : http://www.youtube.com/watch?v=lpvKrIaIzuk
    3 :le ch’ti, petite leçon pour se rendre compte de la différence entre le langage dégénéré d’une poignée d’invertébrés dans une émission de télé réalité, et la vraie langue qu’on cause din ch’nord ! http://www.youtube.com/watch?v=-9ijXvivvtA
    J’espère que le maitre des lieux ne m’en voudra pas d’avoir rebondi de façon un peu large à son billet. En tout cas bravo !

    1. Tant que les pieds sont dument essuyés à l’entrée, le maître des lieux autorise, et même recommande l’ouverture des sujet, tant que sont évités les trolls velus. Merci, donc, pour cet élargissement à d’autres francophonies, et pour la pub pour les Colocs qui méritent bien.

      (Par contre, j’ai bien peur d’avoir reconnu des accents de Jar-Jar Binks dans “Cheull’cigal et cheull’fourmi”.)

  2. Les clichés ont la vie dure :s (en même temps Céline Dion n’a pas aidé *sifflote* ). J’suis bretonne et tout le monde saute au plafond quand je dis que je ne mange jamais de poisson ni de fruits de mer… Non les crêpes c’est pas à chaque repas et ma grand-mère n’a jamais porté de coiffe^^
    Ceci mis à part, ça reste quand même un endroit que j’adorerai découvrir (plus que Bora-Bora, si si!) Un jour qui sait! :p

    1. Cette chère Céline… (Si tu vas un jour au Québec, ne rate pas l’entrée de Charlemagne !). Les Bretons ont une belle histoire commune avec le Québec qui est inratable à Québec (par contre, la galette et le sirop d’érable sont d’un accord douteux). C’est une destination relativement accessible alors si t’as l’occasion…
      Enfin là, ils annoncent neige, pluie et verglas. Reste ici.

      1. J’peux pas poster de photo, mais dans ma montagne c’est pareil… En moins exotique^^
        Pour l’association sirop d’érable/crêpe blé noir, je ne peux que te croire sur parole, je n’ai jamais goûté de sirop d’érable :s
        Bon le bon côté des choses c’est que ça me rajoute des objectifs dans la vie: des idées de repas et de voyages!

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