des Mots > Le sac de ciment
4 mai 2015

Dans une conversation facebookienne Emmanuelle Puche prétendit que j’étais capable de rendre poétique un sac de ciment.
De ce fait, voici ma réponse. N’hésitez pas à exprimer en commentaire si c’est assez poétique pour vous..

CimentIl est là, dans le coin du garage. Ah, on peut dire que je l’ai cherché longtemps avant de penser à bouger cette vieille planche dont j’ignore d’ailleurs, à la fois l’origine et l’utilité. Des traces de peinture tendraient à faire penser qu’elle a protégé quelque chose à une étape de sa vie.
Derrière la planche, il est là, posé à côté d’un sac en plastique au travers duquel on peut voir le reste de sable grossier qui a du servir à rétablir le niveau d’une sablière pour enfant aujourd’hui disparue. L’enfant aussi, a disparue. Elle vit quelque part en ville avec un jeune homme gentil quoiqu’un peu idiot et doté de goûts vestimentaires douteux.
Comme chaque année, à Noël, il m’offrira une cravate qui me rappellera que tout le monde ne devrait pas pouvoir être styliste. Je la mettrai, puis, le soir venu, lui ferait un nid douillet dans les oubliettes vestimentaires ou reposent ses consœurs des Noël précédents.
En tout cas, cela tombe bien, il y a juste assez de sable pour mon petit projet du jour. Un sable blond à gros grain qui se mélangera parfaitement avec le ciment. J’avais d’ailleurs dû l’acheter pour ça. Pour le bassin à oiseaux que je n’ai jamais moulé.

Le sac de ciment, lui, est vieux, avachi contre le mur, comme un coussin ferme et fatigué, légèrement plié en son centre, mais arrondi, encore debout, vaillant, le cœur prêt à accueillir sable et eau. Il faut le sortir de là, et donc se tordre vers sa surface de papier mal blanchi recouvert de sciure de diverses couleurs, de poussière grise qui masque en partie la marque pourtant écrite en rouge. Un univers de couleurs passées, pâlies à force d’avoir été oubliées là, derrière une planche qui n’a pas réussi à le protéger des projections d’un peu tout. Comment, ainsi caché, peut on se retrouver piqueté de tâches d’huile ? C’est un mystère. Je ne me souviens même pas avoir eu de problèmes d’huile dans ce garage où je bricole depuis bien longtemps.

Je tire sur le sac de sable. Je ne sais pas pourquoi j’ai toujours aimé le son que font ces gros sacs en frottant sur le sol en béton. C’est une sorte de crissement sourd dans lequel on entend rouler toutes les poussières, gravats ou copeaux que les sols d’atelier accumulent.
Attraper le sac de ciment est un autre problème. Il est lourd, d’accès malaisé, et ses formes arrondies, bien plus fermes que les fesses de ma femme, n’offrent aucune véritable prise. Je parviens à le faire basculer, à le tirer sans que mon dos ne s’en plaigne trop, et sa relative déformation dans l’opération me rassure un peu sur l’état du contenu que je craignais solidifié par l’humidité. Le papier du sac frotte joliment sur le béton.
Pour l’ouvrir, je le laisse debout. Attraper un cutter sur l’établi n’est l’affaire que d’une seconde et trancher le sac pour découvrir une substance poudreuse, grise et douce comme un souriceau de l’année, ne me prend pas plus de trois au quatre autres.

Je vais pouvoir me mettre au travail. J’attrape le seau et c’est là que je me rends compte que les pieds ne doivent pas entrer dedans. Il chausse au moins du 50 ce gus là. Vais-je devoir faire un moulage pour chaque pied ? Je devrais peut-être le faire autour de sa bite. Elle doit avoir une taille confortable pour avoir tellement plu à ma femme.
Ne mouler qu’un seul pied serait plus pratique, mais je dois penser au transport. On ne se rend pas compte avant d’y avoir eu affaire, mais c’est encombrant, un cadavre. Et lourd.
J’en étais là de mes réflexions quand mon regard tomba sur la machine à laver sur laquelle trône une panière à linge. Cela me rappelle qu’il y a là une vieille bassine assez large qui devrait parfaitement faire l’affaire.

C’est ce moment que choisit mon épouse pour entrer dans le garage. Elle ne fit aucun son, son regard tombant tout d’abord sur son amant étendu, puis relevant la tête sur moi, la bouche grande ouverte. Son visage exprima successivement un patchwork d’émotions qui me fit croire un instant qu’elle essayait de favoriser l’absorption d’une crème de jour ou d’exprimer muettement qu’elle s’était coincé un poil pubien dans la gorge. Pour autant, je ne pris pas trop le temps de réfléchir en saisissant la grosse clé à molette que j’avais à peu près sous la main et que je lui lançais en pleine figure.

Cela craqua.
Je soupirais. À présent, j’allais manquer de sable.

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