des Mots > Chatte d’écrivain
9 juillet 2019

Le meilleur endroit pour l’observer, c’est ma boîte à chaussure.

Il a mis une boîte à chaussure sur son bureau et quand elle n’est pas pleine de bazar parce qu’il n’y avait plus de place ailleurs, il préfère que je sois là plutôt que pile devant l’écran ou sur le clavier. C’est aussi un bon endroit pour un chat. On peut s’y lover, ou poser la tête sur le rebord pour juger l’humain d’un regard félin tout droit sorti du « Nom de la Rose ».

Je suis une chatte noire. J’ai un regard ensorcelant.

Dans ma boîte, il y a parfois un ticket de caisse en papier sans Bisphénol A qui traîne. Je joue avec avant de me coucher.

J’aimerais bien qu’il fume, mon humain. Il aurait l’air d’un vrai écrivain, avec son verre de vin, son air fatigué, et son clavier crasseux qu’il massacre alternativement avec de long moment d’immobilité et de contemplation de l’écran ou un curseur scintillant marque le début virginal d’un endroit bientôt noirci de caractères auxquels je ne comprends rien.

Parfois, il raconte mon histoire. Je le sais, c’est moi qui la lui dicte dans son sommeil.

D’autre fois, il raconte des histoires ou la violence des situations fait écho à l’acharnement pathologique avec lequel il écrase les touches de son clavier, comme si l’énergie qu’il passait sur cet objet à l’indécente platitude pouvait se propager vers les mots qui s’impriment à l’écran.

Que font les gens qui n’écrivent pas ?

Je ne sais pas. J’ai toujours connu mon humain écrivant. Parfois beaucoup. Parfois juste dans sa tête.

Quand il s’y met vraiment, ça peut devenir long. Le bruit des touches me berce. Je ferme les yeux. Je fais ce qu’un chat fait de mieux. Je m’endors.

Parfois, je sens venir ce moment étrange où l’écriture s’échauffe, où les mots, soudain, sont en train de gagner, où les lettres s’affichent avant même d’être pensées. Le texte aspire l’écrivain, les personnages prennent vie tout seuls. Il écrit comme on lit, tremblant, pleurant, riant comme un fou surpris par sa folie.

Je n’ai pas signé pour être le chat d’Hemingway de Houellebecq ou de Hugo. Je vais donc bailler devant l’écran.

Il râle. Me pousse sans succès.

S’il insiste, je vais écrire aussi en marchant sur le clavier.

Il râle. Encore. Me pousse. Encore.

Je m’installe sur son bras. Il arrive parfois à me caresser d’une main et à tenter d’écrire de l’autre, mais sa transe s’est perdue. Il va au bout de son idée, me pose sur ses genoux. Je râle. Il me caresse, s’apaise.
Si je n’ai pas envie de caresses, je sais alors que je peux aller faire autre chose. Manger quelques croquettes, par exemple.

Être chat d’écrivain est un métier. Il faut sans cesse le surveiller pour ne pas qu’il sombre dans l’écriture. Pour qu’il reste humain, mon humain.

Il est bien assez bizarre comme ça. Vous avez lu ce qu’il écrit ?

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Dédicace spéciale à Neko.

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