Les aventures de Jeannot, beau gosse de Ménilmontant, et de sa bande, pendant la seconde guerre mondiale.
Ce texte est un support de théâtre d’improvisation :
Les acteurs jouent le texte au fur et à mesure qu’ils le découvrent. De son côté, le narrateur ne les regarde pas et ne peut donc pas adapter son rythme. Cela génère quelques contraintes d’écriture rigolotes comme utiliser un style plus parlé ou éviter les descriptions interminables injouables.
Vous voulez qu’on parle de héros ? Je vais vous parler de Jeannot. Jeannot-Belle-Gueule, on l’appelait. C’était le bon julot, Jeannot. Beau gosse, toujours le sourire, toujours un mot agréable. C’est un titi de Ménilmontant, comme moi et il avait de la classe. Caquette en gavroche, clope au bec, air désinvolte, oeil charmeur, c’était une figure du quartier et c’était aussi mon ami.
Le dimanche, à l’heure de la messe, il préférait faire ses génuflexions devant une donzelle rencontrée au bal, la veille. Jeannot aimait danser. Il connaissait toutes les guinguettes, leur parquet de danse qu’il enflammait jusqu’à la nuit et aussi leurs coins tranquilles ou promener une belle. Ça, les belles, il savait en trouver pour partir en ballade. S’il l’amenait aux fortifs ou au Père-Lachaise pour commencer, ils finissaient bien souvent à trousse-chemise, avec deux bouteilles de vrai muscadet, comme dit l’autre.
Jeannot, il savait conter fleurette. Ah ça, elles sont plus d’une à s’être prises à rire de trop, à l’aise sur la couverture de pique-nique. Si elles lui offraient leur gorge déployée, il ne trainait pas à jouer de ses mains et à faire la bébête qui monte au balcon et qui descend au panier. Jeannot, il avançait et il réfléchissait après. Plus d’une fois, il avait eu l’inquiétude d’avoir collé un marmot. Il faut dire qu’il avait des valeurs. Un vrai fils d’ouvrier ; presque honnête et fort en gueule.
Jeannot, son daron l’avait fait embaucher à l’usine. Assis sur un banc avec d’autres gamins, il posait des boulons sur des filetages. C’était un travail de précision ; le boulon avait une face arrondie et une face plate, alors il ne fallait pas le mettre à l’envers pour ne pas se faire engueuler. Et puis, il fallait le visser d’un demi-tour. Si il faisait un tour entier, il se faisait engueuler parce qu’il retardait la chaine. Si il faisait un quart de tour, il se faisait engueuler parce qu’il compromettait la qualité.
Au bout de deux jours comme ça, il s’est fait la paire et son vieux n’a pas supporté. Il l’a jeté dehors en le traitant de fils indigne.
Mais à 14 ans, on savait déjà que Jeannot n’allait pas longtemps faire la manche. C’était un coquin, rusé et malin. Il trainait dans les rues toujours aux aguets d’un bon coup. Il sortait le surin pour dépouiller un bourgeois ou se remplissait les poches dans un appartement mal fermé. Ou un wagon de marchandise. A la gare de Ménilmontant, il y en avait souvent.
Pour bien faire ça, il avait une bande. Moi j’en faisait partie. Des gars, mais aussi des filles qui n’avaient pas froid aux yeux. On nous appelait « Les Apaches de Ménilmontant ». En 39, un seul d’entre nous était assez âgé pour aller à la guerre. C’était moi. Ils sont tous venus me faire leurs adieux. Françoise a pleuré quand je suis parti. Il faut dire qu’on voulait se marier.
Puis les Allemands nous ont envahi, moi j’ai été fait prisonnier, et les Apaches ont regardé ça de loin. Les Apaches n’aimaient pas beaucoup les Boches. D’abord, la langue allemande leur agressait les oreilles. Et puis Jeannot était communiste par tradition familiale, alors les facistes, ce n’était pas trop son truc non plus.
Alors les Apaches ont continué leurs petites activités. Ils partaient tous en promenade, bras dessus, bras dessous, youkaidi, youkaida, et détroussaient les soldats allemands égarés. Ils étaient nombreux à Paris et ça changeait du bourgeois. On pouvait y glaner un poignard SS ou des Reichmark.
Puis la bande repartait, bras dessus, bras dessous, youkaidi, youkaida et vidait un wagon plein de munitions. La première fois, ils étaient bien embêtés parce que c’était du lait et du beurre qu’ils cherchaient. Les balles, ça ne se mange pas. Alors, comme il fallait bien trouver quelqu’un d’intéressé par un pareil coup, les Apaches ont fourni la résistance.
Et comme Jeannot aimait bien rigoler, il est reparti avec la bande, bras dessus, bras dessous, youkaidi, youkaida pour faire une boum avec le reste des munitions. Ou plutôt, des boums. Vous voyez la belle voiture pleine d’allemands ! Et boum, la voiture. Oh, un gros train plein de soldats ! Et boum, la voie ferrée. Et boum le train. Oh, le pont trop pratique pour faire passer les chars ! Et boum le pont. Et re-boum. Et encore boum.
Et comme Jeannot aimait aussi varier les plaisir et qu’il y avait aussi des armes dans les wagons, il s’est pris au jeu du pan-pan. Pas le pan-pan cucul, non, ça il n’avait pas besoin d’arme : Pan-pan le nazi. Pan-pan le collabo. Pan-pan le Général. Pan, pan.
Et puis un jour où ils allaient tous en promenade, bras dessus, bras dessous, youkaidi, youkaida, les Apaches sont tombés sur des allemands plus nombreux qui n’aimaient pas les gens qui se baladent.
Ils se sont retrouvés en prison. Une prison froide, humide, où ils étaient seuls, où ils avaient froid, où ils avaient faim, où ils tombaient malade, où le temps était long.
Très long.
Et comme les SS ont un humour de merde, ils s’amusaient à les sortir de leur cellule, un à la fois, pour les interroger. Ils leur demandaient n’importe quoi, mais toujours sérieusement. Parfois les allemands criaient et parfois ils chuchotaient. Quand ils chuchotaient, c’était l’Apache qui criait. L’interrogateur et l’interrogé hurlent rarement en même temps. Et ça pouvait durer des heures.
Et puis un jour, on les sortit de leurs cellules pour les mener dehors. Il faisait beau et leurs yeux n’étaient plus habitués à tant de soleil. Ils étaient épuisés, endoloris mais heureux de voir le ciel, heureux de revoir leurs amis, de pouvoir les toucher et même de voir leurs yeux cernés et éblouis.
Ils s’enlacèrent, puis, bras dessus, bras dessous, presque comme autrefois, ils se mirent en ligne, face aux allemands. Ils eurent encore le temps de penser à leurs mères avant que les soldats n’ouvrent le feu.
Et pan, et pan [autant de pan que nécessaire].
Ce texte a été joué en juin 2025 au théâtre Inox, à Bordeaux, dans le cadre du festival “La tribu se la joue” de Ideal’s Théâtre.