Démangeaison > Le footoir
26 novembre 2009

Je n’ai pas vu le match de barrage France-Irlande du 18 novembre dernier et j’ignorais alors ce qu’est un match de barrage. Voilà donc mon cerveau encombré d’une nouvelle notion dont la seule utilité sera de comprendre un élément fort peu fondamental de la conversation de certains de mes contemporains.

Je n’ai par contre pas pu échapper au fleuve dégoûté, voir blasé des commentateurs face à la qualité du jeu déployé, tout comme aux réactions de tout – mauvais – poil à la – mauvaise – action de Thierry Henry à l’origine du but de la victoire. La polémique enfle encore, devient politique, donc ridicule, et ne m’intéresse à peu prés pas. Peu me chaut de savoir si le geste était volontaire ou si le match doit être rejoué. Ce qui me gène, c’est d’avoir lu, y compris sous la plume de journalistes, une pensée qui peut se résumer par ; « C’est pas grave ; on a gagné ».

Qu’est-ce à dire ? Quel est le message ? Que la fin justifie les moyens ? Que pas vu ; pas pris ? Qu’une tricherie est acceptable quand elle mène à la victoire ? Ce n’est pas grave, c’est du football. Ce n’est qu’un jeu. En effet, ce n’est qu’un jeu, mais c’est aussi un sport qui par définition professe des valeurs sportives, soit l’effort, le fair-play, le respect des règles et de l’adversaire. Ne devrait-on s’attacher à ces valeurs qui tendent à l’universalité ?

C’est un sport, pas une grande messe médiatique et financière où des milliardaires en short érigent la simulation de blessure en stratégie, la faute involontaire en geste du destin, le tacle vicieux en erreur de jugement et le coup de boule en explication animée sur un différent d’ordre intellectuel. Et s’excusent ensuite.

C’est un sport, pas un star-system où les modèles, les héros, que sont les sportifs soi-disant gagnant leur vie au prix d’un corps soigneusement ciselé insultent leurs entraineurs, coéquipiers, voir supporters, oublient de se pointer à l’entrainement et frappent au hasard en gagnant dans l’année ce que je n’ai aucune chance de gagner avec le même comportement puisque je serai mis au chômage avant la fin de ma période d’essai ! Même en m’excusant ensuite.

Je vis à portée de « flash ball » d’un stade ou s’ébroue une équipe dont on parle beaucoup mais qui gagne peu. J’évite de trainer avec une poussette dans le parc voisin où se saoulent (je devrai dire : s’échauffent) consciencieusement des supporters parfois seuls. J’évite également le métro où les bouteilles de Coca sentent le whisky et suis parfois obligé de faire un détour pour éviter de passer entre le cordon de CRS et la meute hurlante.

La meute. Je pèse ce mot. Il pèse lourd quand on lui fait face.

Certes, je stigmatise une minorité qui hurle, défonce, brûle, insulte à coup de banderole ou de cris, mais elle hurle, défonce, brûle et insulte au nom d’un message sportif qui me laisse dubitatif. On n’a pas tous ces problèmes avec les matchs de rugby qui ont lieu dans le stade de l’autre côté de la rue. Toutes les foules ne sont pas suivies ou précédées de vociférants hystériques.

Le sport a la vertu de générer des héros non guerriers qui gagnent leurs gallons par une confrontation respectueuse, même si celle-ci n’est pas victorieuse. Ces héros font des émules et participent à la fierté locale comme nationale autant qu’à sa santé. Le football est un sport d’accès facile ; n’importe quel enfant avec n’importe quel ballon pourra s’identifier à ces héros là. Leur responsabilité est donc immense. S’ils sont pardonnés d’être tricheurs, violents et capricieux. S’ils sont adulés autant qu’haïs par des hordes barbares, les parents devront-ils lutter contre les dieux de cet Olympe là pour inculquer l’honnêteté, l’amour du travail, la valeur de l’argent, les vertus de la raison, de la tempérance et de la civilisation à leurs enfants ?

Comment expliquer la valeur des choses quand le jeu devient plus important qu’un enjeu de société comme je l’ai déjà fugitivement évoqué ici. (voir aussi cette chronique acide de Robert Solé).

Comment expliquer alors que le convoyeur de fonds parti avec le camion n’est pas un Robin des bois comme on l’a trop souvent entendu sur le net, que c’est un voleur qui a notoirement omis de faire un chèque aux restos du coeur (qui ont, soit dit en passant, commencé leur appel aux dons ? Ce n’est pas grave ; c’est l’argent des banques. C’est vrai, c’est de l’argent virtuel, comme celui de Kerviel, comme celui des subprimes à la différence que dans ce dernier cas, cela a fini par devenir grave quand on s’est rendu compte que l’argent virtuel venait de quelque part.

Permettre la tricherie sous prétexte que “ça se fait dans ce milieu”, c’est autoriser la corruption des politiques, le dopage des cyclistes, le trafic de drogue dans les banlieues et les attentats en Corse. Moi je trouve ça grave, mais je suis peut-être rétrograde.

Alors si je me fiche du foot tant qu’on n’atteint pas les quart de finale de la Coupe du Monde, je m’inquiète du message transmis par ce sport qui devient de plus en plus une marchandise et où les actions peuvent être jugées à l’aune de leur rentabilité. Alors oui, j’apprécie que Thierry Henry avoue sa faute, s’en excuse, s’en explique et se prononce pour rejouer ce match. Je me prend alors à rêver au jour où il ira voir l’arbitre après l’action pour lui dire qu’il n’a pas vu sa faute et à celui où je ne me méfierai plus en croisant dans la rue des groupes de peut-être fous furieux en maillot rouge et bleu partant à la rencontre de probablement dangereux groupes en bleu ciel et blanc suant eau en rêvant sang. Le sang du tricheur qui n’était pas dans leur camp. A défaut, tout autre sang.

Les maillots roses, eux, ne me posent pas encore de problème. Pourvu que ça dure !

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