Ma maman qui a toujours raison sauf quand elle n’est pas d’accord avec moi qui ai toujours raison depuis que je suis un papa, prétend qu’il faut lire “Le petit prince” une fois tous les dix ans. J’opine du chef devant cette affirmation de bon sens tant le petit recueil poético-philosophique de Saint-Exupéry apporte à chaque âge son lot d’émerveillement et un nouveau visage à la rose, au renard et au serpent.
Et que dire du buveur….
Si la culture est ce qui reste quand on a tout oublié, on n’oublie Le Petit Prince que parce qu’on oublie qu’on a été un enfant. C’est un conte philosophique pour enfant. Il est inutile de le lire en entier pour le savoir ; c’est écrit dès la dédicace. Il y a des trucs, comme ça, que j’ai oublié. J’ai oublié ce qu’est la philosophie malgré les heures de cours motivés par la menace du bac philo et le souvenir d’une prof plus intéressée par Freud que par Platon.
Un jour de fringale intellectuelle, je choisis pour lutter contre l’hypoglycémie culturelle de m’équiper de la “Brêve histoire de la philosophie” de Roger-Pol Droit. Bon choix que cette barre énergétique de la philo. Avant même d’ouvrir le livre, on apprend que le philosophe est en quête de la vérité. En deux minutes, j’ai compris ce que des heures de cours n’ont pas réussi à imprimer suffisamment à mon esprit pour que je m’en souvienne quinze ans (et des poussières) plus tard jusqu’à instiller le doute de l’avoir un jour compris. D’un autre côté, comment intéresser un post-adolescent à la recherche de la vérité, à l’âge même où il est persuadé de la détenir ? Il y a là un non-sens psychologique – d’où sans doute les interrogations freudiennes de ma prof de philo. Le bouquin est parfait en ce sens qu’il se lit bien, vite, qu’il nous apporte ce qu’on y cherche et qu’on est content de l’avoir achevé. C’est une barre de céréales, finalement, qui aurait été écœurante si elle avait été plus longue. Une jupe ni assez courte pour avoir vraiment un intérêt, ni assez longue pour n’en avoir aucun. En vingt fiches, l’auteur résume la recherche de la vérité de vingt “grands” philosophes ; c’est érudit, clair, structuré et on peut faire une pause pour reposer le neurone philosophique engourdi entre chaque chapitre. Mais Saint-Exupéry n’y figure pas.
Il faut dire que contrairement à la masturbation intellectuelle à laquelle se livrent ces grands penseurs, Saint-Ex ne cherche pas à définir la vérité, mais juste à décrire le monde sans se tripoter les cellules grises, ce qui lui évite de se salir les mimines avec ces éjaculats sémantiques chers à Bernard-Henry Lévy, qui d’ailleurs ne figure pas non plus dans le bouquin, mais il faut dire qu’il n’est pas mort. Je veux dire par là qu’il bouge encore. C’est pourtant dans Saint-Exupéry que l’on trouve les plus belles descriptions de la vérité. Au-delà du voyage initiatique du Petit Prince au format poche “illustré avec les aquarelles de l’auteur” à l’intérieur duquel l’écriture maladroite de l’enfant qui fut moi, a écrit mon nom, il m’est tombé entre les pattes, un autre jour de fringale culturelle avec goût de rattrapage scolaire, un voyage initiatique plus adulte encore éclairé de l’émerveillement de l’enfance de l’homme qui ne cherchait rien et à qui la vie a imposé la vision d’une vérité.
De son appareil, l’aviateur contemple la “Terre des Hommes“, la terre qui nous en apprend plus long sur nous que tous les livres, terre de douceurs et de violences. Il s’y pose, la quitte, la percute, la survole, l’arpente. La terre, elle, pose ses nuits dans le décor des sables insoumis de l’Afrique Française. L’Homme y est une menace et le puits une promesse. Parfois, c’est l’inverse. Saint-Ex, n’a que faire de la vérité. Il pose sur la terre le regard d’un enfant qui a du mal à grandir et à comprendre l’enfermement de son prochain dans les certitudes poussiéreuses et les murs gris. Il s’émerveille des grands sentiments comme des petits, de ces petits cailloux qui parsèment son chemin. Il aurait pu me piquer le titre de ce blog.
Pour cet enfant, la vie est un jeu cruel qui nous forme à son image. Lui, son jeu est de transporter le courrier, survoler la terre à bord d’appareils trop petits face aux intempéries, écrire des histoires parce qu’il a du temps pour contempler, penser, comprendre et transmettre. Il apprend que l’espoir et l’amour meuvent les hommes au delà de leurs limites sur cette terre dont ils repoussent l’hostilité. On trouve chez Saint-Exupéry cet étonnement devant la médiocrité et le renoncement systématique qui se retrouve dans la pensée maritime. Tel un marin, l’aviateur gère l’équilibre instable qui fait survivre sa machine malgré l’élément dans lequel elle évolue. Il ne rentre pas ; il fait escale. Il y a les vivants, il y a les morts, et il y a ceux qui partent en mer.
C’est pourquoi “Terre des hommes” est un livre dur sur ces expériences qui relativisent nos propres souffrances, qui s’appuie sur des expériences fortes pour dépasser le refus obstiné d’un Moitessier resté adolescent pour l’éternité, qui permet de lever le regard et de s’offrir le luxe d’accepter pour comprendre. Ne pas voir le désert comme une mer de sable, mais comme l’écrin jaloux d’une fontaine.
Devenir philosophe, c’est accepter les leçons de la vie. C’est donc perdre son enfance. À la fin de sa quête, le Petit Prince se releva. Il n’y eut rien qu’un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit même pas de bruit, à cause du sable.
Ainsi passe l’enfance, retenue par les tamis de la vie.
C’est pour cela qu’il faut relire le “Petit Prince”, pour se rappeler de continuer à s’étonner, à s’émerveiller, à se dire qu’il nous faut encore grandir et qu’on restera vivant malgré l’appel des murs gris des destinées tracées tant que ça changera les choses de savoir si un mouton que nous ne connaissons pas a, oui ou non, mangé une rose….
A quoi sert la quête du philosophe s’il ne se laisse pas émerveiller par ses trouvailles ?
Les poètes sont décidément plus fréquentables.