Culture > Littérature > [Livre] La pluie, avant qu’elle tombe
27 juillet 2010

P1110309Une chose peut-elle être belle avant d’exister ? Être aimée parce qu’évidente, parce qu’inévitable ? Comme une certitude destinée à prendre corps ? Comme la pluie, avant quelle tombe ?

L’histoire que raconte Rosamund pose la question. Rosamund repose dans ce petit cimetière anglais, mais sa voix résonne toujours. Sa voix résonne dans un petit appartement où trois femmes écoutent l’histoire qui ne leur est pas destinée. Elle écoutent décrire vingt photographies qui racontent son histoire à l’enfant aveugle qu’elles n’ont pas retrouvée.

Le roman de Jonathan Coe est une voix, une voix âgée, usée. Une voix blanche comme l’était le ciel du Shropshire aux obsèques de Rosamund. C’est une voix pâle et lasse au récit rythmé par vingt images d’où déferlent des vies, des vies plantées dans les décors romantiques de la campagne anglaise, sur une plage, autour d’une table. Des vies figées dans leurs coiffures, leurs vêtements, leurs sourires forcés, naturels, oubliés. Des vies figées auquel le récit donne force, puissance et violence. Des vies passionnées, brisées, recommencées.

Rosamund est morte et une de ses héritières est manquante. Imogen, l’enfant blonde, gaie et aveugle entraperçue vingt-trois ans auparavant. C’est pour elle que la voix décrit patiemment les images et les secrets qu’elles recellent en quatre cassettes de quatre-vingt dix minutes durant lesquelles Jonathan Coe construit des vies de femmes avec une précision et une complexité millimétrée. Il les cisèle, orfèvre littéraire, et les lâche dans la vie avec leurs peurs enfantines, leur lâchetés et leurs bonheurs éphémères.

Dans la voix de Rosamund l’arbre généalogique matriarcal d’Imogen sort d’une brume sélective, avec ses branches noueuses et perverses, ses rameaux improbables, quelques belles fleurs qui éclairent le chemin le temps d’une saison, les oiseaux étrangers qui y chantent à l’occasion. Et les branches mortes qui tombent. Les pourries dont la croissance se perd dans la brume.

Chaque étage dévoile les femmes de la vie de Rosamund, de l’amie d’enfance au premier amour, jusqu’à la compagne du reste de sa vie ; légion d’amazones, de mères damnées perchées sur des berceaux maudits, entourées d’ombres d’hommes méprisés, parfois méprisants, éventuellement méprisables. Rosamund ne leur délivre de compliment que du bout de ses lèvres mobiles humidifiées de whisky.

Jonathan Coe est un architecte de labyrinthe qui nous donne à croire que nous nous trouvons sur une route droite pavée d’une illusion de linéarité. On se retrouve sans crier gare sous deux niveaux de lecture, des réalités doubles évidentes à force de hasard, des effets de miroir qui jouent au jeu des sept erreurs. Il nous livre son idée du destin, et cette idée sort du récit de Rosamund pour habiter l’auditrice, puis le lecteur. Et malgré une fin un peu rapide, on ferme le livre avec le sentiment d’avoir quelque chose à comprendre. D’avoir peut être même commencé à comprendre cette pluie là.

Celle qui n’est pas encore tombée.

Repères

La pluie, avant qu’elle tombe de Jonathan Coe
Roman
Gallimard – 2010 pour la version Française

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