La vérité sort toujours de la bouche des enfants, mais celle-ci prend parfois une tournure étonnante. J’en veux pour preuve cette réflexion que n’aurait pas renié Jean-Paul Sartre prononcée par un petit bonhomme de 3 ans bien sonnés constatant que le restaurant où il finissait sa glace au chocolat s’était vidé.
« On est plus tout seul parce qu’il y a moins de gens »
Passé le moment de doute, j’ai été frappé de plein fouet par la profondeur de cette assertion, puis d’admiration pour le génie philosophique précoce qui s’épanouissait devant moi.
Il avait considérablement raison.
Il avait raison parce que dans le silence relatif qui régnait désormais, nous parlions moins fort. Comme si la foule n’avait pas le pouvoir d’entendre ce qu’un individu aurait retenu.
Il avait raison parce que je me souviens des visages des personnes avec qui nous déjeunions à ce moment là alors que la majorité des clients qui les avaient précédées ne sont qu’ombres et silhouettes (sauf l’informaticien de 150 kg qui avait été assis dans l’axe de mon regard, mais il parlait fort).
Il avait raison parce qu’ils sont nombreux dans cette ville à croire que voir du monde, beaucoup de monde, comble leur solitude, et à se retrouver dans leur appartement étriqué avec au téléphone un des rares amis conservés par devers les ans et par devers les rencontres multiples qui occupent la vie sans réussir à la remplir. A défaut, ils téléphonent à leur mère.
Il avait raison parce que tout le village de vos grands-parents connaît votre vie, mais que votre voisin de pallier ignore votre nom de famille alors qu’il aimerait bien approfondir le sujet depuis qu’il est tombé sur la profondeur du décolleté de votre petite robe noire.
S’il savait que le voisin du dessous a tout sur son constat de dégât des eaux…
Il avait raison, enfin, parce que la vérité sort de la bouche des enfants, et que si la philosophie est la recherche de la vérité, il faudra me faire penser à acheter un tricycle à Bernard-Henry Levy et à militer pour le bac philo à 5 ans.
On peut trouver dommage que cette aptitude se perde avec l’âge et l’innocence, mais l’aptitude à créer, puis garder des liens forts avec des individus au lieu de se fondre dans la collectivité, elle, se renforce avec le temps.
On appelle cela l’amour, celui qui forme un couple – à opposer à l’association de deux solitudes – ou l’amitié qui nous permet, non pas de passer « une bonne soirée », mais d’être bien, juste bien ensemble, ce soir là.
Quand à savoir ce qu’un petit bonhomme de 3 ans et demi peut bien avoir compris de tout cela… Je suivrai en tout cas avec grand intérêt le début de sa carrière littéraire.