Dans la lignée des romans historiques, voici une fresque romanesque nimbée de soleil, de poussière et de sang à l’ombre des pyramides dans une Egypte exsangue, coincée entre Turcs, Mamelouks et les ambitions d’un trublion nommé Bonaparte. En cette époque charnière l’histoire Egyptienne va s’en trouver bouleversée tout comme celle d’une famille. Celle de Shéhérazade, fille de Chédid.
Affublée d’un prénom peu commun dans une famille qui ne l’est pas plus, elle est le prisme à travers lequel Gilbert Sinoué nous présente cette épopée sanglante. D’une plume sûre, il trace l’image d’une Egypte pétrie de paradoxes. Dirigée d’une main de fer par les Mamelouks, anciens esclaves de l’ancien envahisseur (Arabe, au VIIe siècle) auxquels les nouveaux envahisseurs (Turcs, XVIIe siècle) ont laissé l’administration, puis, progressivement, un peu trop de bride sur le cou.
Cette complexité politique n’est pas au service d’un peuple appauvri, à l’exception d’une élite prospère parmi lesquels se trouve une corporation de marchands, dont le père de Shéhérazade ou ceux du « Corps de la Nation française établi au Caire » qui commercent pendant que l’université, comme toute bonne université, forme les révolutionnaires d’aujourd’hui qui seront les notables de demain s’ils survivent. L’Egypte supporte un brassage ethnico -“religieux avec une sérénité qu’envieraient nos temps modernes et Shéhérazade, 14 ans, est amoureuse du jardinier qui, lui, veut devenir Amiral, ce qui dans un pays sans marine dénote un certain sens du rêve.
C’est d’ailleurs de la mer que va débarquer le catalyseur de la poudrière Egyptienne. Gilbert Sinoué nous présente le général Bonaparte sous un jour peu commun, peu flatteur, et fort plausible. Les vexations aux marchands Français sont un bon prétexte pour prendre pied à la porte des Indes et permettre à la jeune République Française de contrer la puissance anglaise en envoyant loin de la métropole un héros qu’on a bien peur de laisser s’ennuyer.
Bonaparte fait donc ce qu’il sait faire : il fait la guerre, taille dans le vif et ce qui n’est pas découpé par les sabres Français est tailladé par ceux des Mamelouks qui entament une guerre d’usure qui, en effet, va user. User l’armée Française dont les sables d’Egypte boiront le sang sans lassitude, user le pays et les Mamelouks eux même, jusqu’à permettre l’émergence du tournant historique qu’est Mohamed Ali.
Mais d’ici là, Shéhérazade, placée au milieu des intérêts opposés de l’Egypte va assister à la chute, la mort ou la déchéance d’à peu près tout ce qu’elle croyait acquis. Le livre la laissera avec encore des larmes aux paupières.
Voilà une Å“uvre dense mais légère, de lecture facile et d’un intérêt culturel indéniable. Abondamment documenté et annoté en bas de page (procédé qui rend le texte beaucoup fluide), le récit est cohérent et exempt de lyrisme inutile. Arriver à écrire un pavé de cette importance sans longueurs excessive est la marque d’une écriture efficace.
On pourra regretter l’absence de mise en perspective historique, mais comme Shéhérazade le dit elle-même en fin d’ouvrage ; « L’histoire ne fait que commencer ». Il me faudra donc lire « La fille du Nil ».
A suivre, donc.
Repères
L’Egyptienne de Gilbert Sinoué
Roman
Denoël – 1991