Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’informatique, être doté d’une barbe et de cheveux hirsutes, d’acné tenace et, préférentiellement, de lunettes ainsi que suivre un régime à base de bière et de chips tout en étant incapable d’accorder une chemise avec une cravate étaient des pré-requis pour faire fonctionner un jeu sur un PC. Si dans l’expression « disquette de boot » qui désigne l’arme fatale de ces chevaliers du moyen-âge informatique, vous ne comprenez pas le mot « disquette », il faut vous figurer une époque glorieusement bordélique ou de nombreux systèmes informatiques coexistaient en déchaînant les passions de marginaux poilus et/ou boutonneux que l’on n’appelait pas encore des « geek » (prononcer « guik ») de ce côté-ci de l’Atlantique.
Puis Windows 95 est arrivé, rapidement suivi de ses frères, et le déjà grand Microsoft est devenu le méchant Micro$oft alors que Bill Gates se transformait en Big Brother, ce qui avec sa tête de petit frère tabassé à la récré est une sacré faute de goût. Face au bulldozer de Seattle, tout le monde s’est à peu près fait renvoyer dans ses buts, certains ont disparu ou n’existent plus que par la nostalgie de quelques uns. D’autres se sont recentrés sur un marché de niche pendant que les chevelus enfin appelés « geek » et en passe de devenir « nerd » (prononcer « neurd »), version beaucoup moins sociable du précédent, mettent en place une riposte à coup de grands principes et de travail collaboratif et communautaire ; ce sera l’univers du logiciel libre qui entre en guerre comme en religion.
Mais de quelle guerre s’agit-il donc ?
Celle du tout et du plus. C’est la course aux armements et à la démesure. Monsieur Plus est vite mis à la retraite face à l’avalanche ; Plus de nouveaux outils, de nouvelles fonctions, de nouveaux logiciels toujours plus puissants, plus gourmands, vendus à plus d’utilisateurs, pour plus d’argent. Le rythme est tellement intense que pour le suivre, on est même obligé de sacrifier la qualité. Ce n’est pas grave, c’est la nouveauté qui fait vendre. Pendant ce temps, Internet devient mature et entre dans la danse et propose, lui-aussi, toujours plus. Il gonfle toujours plus comme la grenouille qui voulait devenir un boeuf – ce qui est bien une drôle d’idée soi-dit en passant – et explose. Comme la grenouille qui… bref, l’expérience ne sert qu’à ceux qui en tiennent compte.
A cette époque, rappelez-vous, les portails étaient tout : Yahoo, Lycos, AOL, Microsoft, chacun avait le sien et c’était aussi l’univers du plus ; plus de sites référencés, plus de services (météo, horoscope, rencontres, chat…) toujours plus. Certains s’en sont sortis, ont su prendre le virage du pseudo-web 2.0, d’autres moins, mais au final, ces fanatiques du plus, plus vite, sont peut-être en train de perdre leur bataille.
Il y a quelques années, un publicitaire a sorti un slogan inutile (désolé pour le pléonasme) pour un constructeur informatique : Think different. Pensez différemment.
Ils l’ont dit, mais en plus ils l’ont fait. Et d’autres avec eux.
Ils sont deux acteur majeurs à penser autrement ; à se dire que tout doit être simple pour l’utilisateur. Pas nécessairement complet, mais d’une qualité irréprochable, quitte à ce que le produit prenne son temps pour sortir. Un discours de perdant snob, en somme.
Et pourtant, après avoir peaufiné le moteur de recherche le plus simple d’utilisation, devenu le plus utilisé au monde, puis assuré son avenir financier avec un système publicitaire également simplissime mais d’une efficacité redoutable, Google a lancé des idées tout azimuts pour forcer les concepts à sortir, quitte à les abandonner par la suite, même si cela doit sembler manquer de constance. Méthode : revendiquer le statut « beta » (instable) des applications, même si les dirigeants doivent passer pour des geek rigolos incapables d’accoucher d’une version stable après plusieurs mois.
Mais au final, la version stable l’est vraiment. Google est à présent partout avec des services utiles et donc utilisés, de grande qualité, gratuits et d’une étonnante variété. Je n’entrerai pas dans le débat sur le respect de la vie privée ; ce n’est pas mon sujet. Leur percée progressive dans les téléphone mobiles – ou, là encore, le plus est de rigueur ; la profusion de combinés m’évoquant un cloaque où une cane ne retrouverai pas ses canetons – préparait l’annonce de la sortie d’un système d’exploitation pour ordinateurs. Toujours fidèle à la méthode du « petit à petit », celui-ci sera limité à un type d’ordinateur mais l’ambition est affichée : L’utilisateur ne devrait pas avoir à se préoccuper de sa machine. (ouvre-t-on souvent soi-même le moteur de sa voiture ?) et l’important est que l’utilisateur ait ce dont il a besoin, même si ça vient de la concurrence. Pas plus. Des rigolos, on vous dit.
Du même côté de la barrière de l’innovation, une vision plus chère, plus élitiste, mais tout aussi efficace ; celle d’une société que Forrest Gump prenait pour une coopérative fruitière et qui travaille ce même leitmotiv serinant que l’utilisateur ne devrait pas avoir à se préoccuper de sa machine. De l’iMac à l’iPhone, Apple a conscience de ne pas jouer dans la même cour que les autres et le revendique ; ils sortent les nouveautés à leur rythme, n’hésitent pas à simplement modifier d’anciens modèles pour proposer des nouveautés furieusement innovantes, techniquement abouties et fiabilisées. Le contre-pied parfait du leader du marché.
Alors oui, ils sont agaçants avec leur petite morgue d’ex-loosers devenus à la mode. Même pas capable de mettre du copier-coller sur leur super-téléphone-qui-décoiffe-la-mort-qui-tue alors que j’en avais sur mon vieux Nokia à écran monochrome. Enfin je crois, parce que je ne m’en suis pas vraiment servi (ça ne devait pas être très pratique). Ce n’est pourtant pas parce que le copier-coller est une fonction de bouseux ; mais dans un téléphone comme jamais personne n’en a conçu auparavant, il fallait que le copier-coller soit comme jamais personne n’en a conçu auparavant. Des snobs, on vous dit.
Aujourd’hui, deux des plus grosses entreprises du secteur remettent au goût du jour les valeurs de patience, de créativité et d’excellence. Quand aux poilus de ma glorieuse époque post-acnéique, ils se sont rasés, coiffés, lavés et s’apprêtent à acheter un Mac, si ce n’est déjà fait.
Ils se prennent à rêver d’un monde où le mieux serait un standard, le choix de l’utilisateur une philosophie et le contrôle de l’empreinte carbone un objectif. Puis ils ouvrent les yeux et voient que ce monde commence à se dessiner.
Ils voient que le bon vieux temps est à venir.
Ils sourient.