Le biscuit craqua doucement, sablé juste pas trop sec et, avec sa saveur, s’insinua comme un arrière goût de bonheur simple, de jeux effrénés et de câlins maternels. Avec la bouchée suivante, le miracle se reproduisit ; ce petit goût d’enfance, ce petit plus qui ennoblit les goûts les plus rustiques plaça là un bien être douillet.
C’est souvent par surprise que l’on se laisse attraper par ces saveurs enfantines, au détour d’un plat, d’une odeur, et sur l’écran des nos yeux mi-clos se projette la boite de carton orange du chocolat Poulain, ses grumeaux irréductibles et sa saveur de petit matin embrumé et frénétique de départ à l’école. Cette école ou nous dégustions des carambars insécables passée une certaine température et des roudoudous tout aussi interdits aux porteurs d’appareil dentaire inamovible dont je n’étais pas. Cette école où le soupçon d’aimer le choux de Bruxelles ou la brandade de morue rendait suspect.
[…] On était bien heureux même à jeun
C’est comment vous dire qu’ ça fait longtemps
De cette époque où tous et chacun
Couraient au son d’ la cloche s’ mettre en rang
Où on n’ connaissait aucun défunt
Où on avait encore tout devant[…]Marie-Annick Lépine
La belle époque in Au bout du rang
Certes, aujourd’hui, les bonbons nous paraissent souvent moins bons, trop sucrés, trop ou pas assez parfumés. Les petites bouteilles de coca recouvertes de sucre piquent moins qu’autrefois. Je suis d’une époque où les crocodiles Haribo avaient un goût « chimique » et ou le Malabar prétendait avoir goût de fraise.
Les crocodiles ont désormais goût de crocodile et l’étal des glaciers affiche parfois les parfums « Malabar » ou « Fraise Tagada ».
Mais ces goûts, ou leur souvenir, sont notre mémoire. Le dépaysement est aussi de remonter une rue aux senteurs que l’on remarque parce qu’elles ne font pas partie de notre patrimoine olfactif, de notre histoire, parce qu’elles ne sont pas celles du croissant chaud sorties du soupirail du boulanger – accompagnées de fumée en hiver – ce même boulanger chez qui nous sélectionneront soigneusement des rouleaux de réglisse et, surtout, les petits oursons en guimauve enrobés de chocolat – bien intacts pour voir le chocolat fendre en les écrasant – pendant qu’il vendra des « pains » de 500 grammes aujourd’hui amaigris.
Pas trop cuit ?
Bien cuit, au contraire ; j’aime les nostalgies bien craquantes.
Faut toujours préparer les mélancolies de demain. Ca se tisse au jour le jour, sans qu’on y prenne trop garde. Tu laisses refroidir, et puis un jour tu repêches dans ta mémoire des bribes d’instants que t’avais à peine remarqué en les vivants ; ils te deviennent alors confortables. (San-Antonio)
Est-ce plus une nostalgie ou un souvenir d’une insouciance perdue dans lequel on se love au goût d’une queue de pâquerette arrivée dans notre bouche sans prévenir ? Ou à l’odeur de ses pétales. Un peu, beaucoup… On savoure l’instant plus que la fleur.
La bouchée d’enfance terminée, on est juste bien. On en reprendrait une autre. On se retient parce qu’on est grand, qu’on est raisonnable, qu’on montre l’exemple, qu’on est responsable (1). On se verse un verre de jus d’orange sans colorant ni conservateur conformément à la législation en vigueur avec un petit regret de Banga, ou de poudre de Tang mangée à la cuillère à même la boite. Tout à l’heure, on prendra une infecte gomme de pharmacie – bonne pour la gorge, mais pas pour la langue – pour se punir de ce petit plaisir et c’est là qu’on se laissera assaillir par l’odeur de Mercurochrome rouge sur genoux écorchés. On reniflera par habitude une vieille larme tombée – et reniflée – 25 ans plus tôt lorsque nos genoux ont touché le sol en y prélevant de petits gravillons et, pour se consoler, nous irons nous chercher un paquet de Petits Bruns, tellement meilleurs que les petits beurres de LU, même s’ils sont plus cassants, avec un carré de Crunch, à défaut de Galak.
Puis le goûter s’achèvera sur du bien être.
Aujourd’hui, on n’aura pas vieilli.
(1) Lynda Lemay – Je suis grande
Je crois que ça ne se fait pas de demander l’âge d’un papa vedette 🙂 On ne doit pas être bien loin, j’ai connu le Galak 🙂
J’ai la mémoire des odeurs bien plus que tous les autres sens. Mon enfance me revient souvent au détour d’une rue, dans un marché, dans un parc, avec un pinceau à colle. Ce que je préfère reste les livres, l’odeur des livres qui me rassurent, qui me font décrocher et qui m’emmènent loin du moment présent.
Les souvenirs, notre matière grise, qui font ce que nous sommes en tant qu’homme et en tant que parents.
Non, ça ne se fait pas, surtout que nous ne sommes apparemment pas à la même extrémité de la trentaine 🙂 Bien vu, les livres, c’est vrai. Surtout ceux des bibliothèques de campagne et leur odeur de papier humide, les “Bibliothèque Verte” jaunis et les “Rouge et Or” piquetés sans compter les “Signe de Piste” d’après-guerre, décousus comme des parchemins secret remplis d’histoires magiques. Tiens, des idées pour un prochain article…