Dans l’opposition classique entre ville et campagne, passée la comparaison d’odeurs (crottin contre pollution et humus aux notes de champignon contre… heu.) on compare volontiers l’horizontalité des champs ouverts et des frais bocages à la verticalité des tours, barres et autres gratte-ciels. Cette vison, simple pour ne pas dire binaire, néglige des hectares de maison de ville tout autant que l’expansionnisme tentaculaire des villes de campagne à coup de lotissement sans étages et avec jardin, troquant contre un peu de gazon famélique et quelques géraniums le sentiment de vivre en communion avec la nature.
Il y a en France un projet qui a au moins le mérite de brasser les neurones urbanistes d’à peu près n’importe qui, c’est le « Grand Paris ». Dans ses propositions, une a retenu mon intérêt, c’est l’idée de densifier le tissu urbain afin de limiter les déplacements et les déperditions d’énergie. J’ajoute que cela permet également la viabilité d’un commerce de proximité dynamique que j’apprécie au quotidien alors même que j’ai vu mourir, par défaut de densité, justement, celui du quartier qui m’a vu grandir.
Nous bétonnerions donc – avec du béton « vert », est-il utile de le préciser – des immeubles à énergie presque positive pour générer de l’embouteillage qui dissuadera de prendre son véhicule et conduira à s’entasser dans des transports en commun dont les études de modernisation sont obsolètes au moment même où elles passent à la réalisation. Ces nouveaux citadins arrêteront de détruire les biotopes à coup de maisons Phénix et tout le monde sera content, à commencer par les laboratoires Roche qui devraient prévoir d’augmenter la cadence de fabrication de leur Lexomil.
On croirait entendre un beau discours d’après-guerre alors que l’on construisait fièrement des villes nouvelles, devenues depuis des cités-dortoirs, puis des cités… La ville n’est pas seulement verticale, elle est aussi horizontale, et, pour tout dire, tridimensionnelle. C’est avant tout un lieu de vie, elle doit offrir le ciel au regard, de l’herbe aux enfants, et la possibilité de s’en ou de s’y évader. Il faut lui conserver ses vides, ses élancements. Ce sont ses pertes d’espaces qui font son charme, qui la rendent plurielle, c’est-à-dire humaine.
Je me méfie de cette méthodologie chère aux hommes politiques de tout bord consistant à factoriser un problème complexe pour n’en résoudre que le plus petit dénominateur commun. Conserver à la ville son humanité ne signifie pas ne rien faire, mais avoir l’humilité de comprendre que personne ne sait se projeter dans l’avenir d’un grand projet. Paris ne s’est pas faite en un jour, il faut la laisser continuer, pas à pas.
Je ne milite que pour conserver à la ville sa poésie et l’humanité qui lui reste, pour qu’encore des générations de mabouls dont je suis puissent, rien qu’en levant la tête, déconnecter un peu, se laisser émerveiller et prendre une bonne expiration.
Parce qu’une bonne inspiration, ça pourrait être dangereux.