Il est une espèce post-néandertalienne qui peuple nos univers policés du 21e siècle sans que ni chasseurs ni écologistes ne s’en soucient. Malgré l’absence de signes distinctifs visibles de prime abord, ces primates s’élevant sur leurs pattes postérieures pour marcher d’une façon qui n’évoque somme toute à peu près rien d’autre qu’un homme qui marche, on peut les reconnaître à certains symptômes particuliers, à commencer par un vocabulaire quelque peu limité où l’on note l’absence de verbes tels « émincer », « glacer », ou encore « mijoter ». Également dotés de repères spatiaux déficients, les spécimens que j’ai eu le loisir d’étudier étaient bien en peine d’estimer correctement le volume correspondant à « une noix », voire « une noisette », et si les plus efficaces d’entre eux arrivaient à obtenir des « pincées » honorables, la quantité de spaghetti restait majoritairement due au hasard. Cette déficience dans l’appréhension volumique est également valable pour l’appréciation des tailles et peut conduire à de dangereux mouvements de panique, dés qu’un râtelier de couteau dépasse les trois exemplaires soit un petit, un grand, un éplucheur. Notons que certains spécimens sont néanmoins capables de garder leur calme face à une scie à pain ce qui tend à prouver que l’apprentissage du choix de couteau par destination soit possible, même s’il faudrait pour cela trouver le moyen de faire entrer des légumes – oui, au pluriel, c’est là la difficulté – dans la cuisine des sujets étudiés.
Si certains d’entre vous commencent à s’identifier plus ou moins au portrait de ces inadaptés culinaires qui ont tendance à se faire éjecter de toute cuisine au troisième « Qu’est-ce que c’est ? Ça a l’air bon. » ou au second « Quand est-ce qu’on mange ? » sans même que leur amour propre n’en souffre et si, à l’instar de ces culinophobes, vous êtes autant à l’aise avec l’idée d’inviter des gens à vous faire la cuisine qu’avec le geste consistant à enfourner promptement une pizza surgelée dans un four, thermostat au maximum, je me dois de vous rassurer ; vous appartenez à une certaine forme de normalité.
Loiseau, Robuchon et les autres, eux, sont des extraterrestres ; des artisans, voir des artistes – la différence entre le premier et le second, étant que tout le monde est capable de reconnaître qu’un artisan fait du bon travail. Et qu’est-ce qu’un artisan sinon celui qui est capable de faire à la perfection ce que le commun des mortels n’est pas capable de faire à peu près ?
Pourtant, nous qui sommes capables de passer une vie à ne savoir apprêter que l’omelette, les nouilles et l’omelette aux nouilles en plus d’un plat plus compliqué destiné à faire croire qu’on est capable, celui-là même que l’on fait après avoir emprunté un neveu ou une filleule en bas âge pour le ou la promener au milieu des pré-trentenaires célibataires.
Pourtant, disais-je avant de m’interrompre moi-même par une digression qui, encore une fois, m’éloigne de mon propos sinon que la nièce ou le filleul – oui, ça marche en inversant les sexes – ne servent, au même titre que la blanquette ou la quiche lorraine, qu’à faire croire que l’on sait.
Pourtant, tente-je de conclure, les primates culino-inadaptés ne sont pas dupes de leur propre production et seraient même assez fine gueule dans l’ensemble. Assez pour être de bons critiques des créations de tierces parties, et pour tomber amoureux pour de vrai au premier soupçon qu’une copine de caleçon sache préparer les œufs mayonnaise parce que faire un œuf dur, c’est compliqué (on peut casser l’œuf), dangereux (on peut s’ébouillanter) et technique (comment ça du vinaigre dans l’eau ?). Alors une mayonnaise, permettez moi de garder un silence pudique sur cet Everest culinaire !
La vie n’étant pas parfaite, certains se retrouvent à devoir présider aux destinées de leur tablée et doivent alors démarrer le pénible et complexe apprentissage qui peut commencer par tenter de comprendre qu’un thermostat n’a pas que deux positions. Entre « Marche » et « Arrêt », il convient d’insérer « feu doux », « mijoter », puis apprendre à se servir de nouveaux outils, progressivement, et ajouter de nouveaux mots sur la base d’un lexique simplifié pour les plus timorés, ou d’un Ginette Mathiot (qui est la Laurence Pernoud de la cuisine, à moins que Laurence Pernoud ne soit la Ginette Mathiot de la puériculture) pour les plus téméraires.
Pour ma part, j’ai encore mon édition 1999 du guide de la cuisine étudiante (Sabine Duhamel) que je vous recommande. Quand je vois son état, tâché de tout ce qui peut tâcher dans une cuisine, avec encore des petits bouts de gâteau au yaourt collés aux pages, et certainement du sel, ou du sucre, ci-et là dans la reliure martyrisée… je me dis que l’application Marmiton pour iPhone n’est peut être pas une excellente idée !
C’est pourtant un site que je recommande aux moins inspirés d’entre nous. Besoin de finir la piquette ignoble que vous avez acheté « pour goûter » ? Excès de pain rassi ? Légumes (que votre mère vous a fait acheter) présentant rides et ridules précoces ? Marmiton est votre ami. Afin de ne pas me faire allumer par les féministes (il y en a des susceptibles) comme par les masculinistes (pareil), je ne dirai pas trop fort que ce site fait partie de la galaxie aufeminin.com, site dont, par contre, j’aurai du mal à vous parler.
Puis, j’inciterai mes congénères ustensilophobes de tous les sexes à approcher l’inquiétante bestiole qui trône dans les cuisines bien loties. Elle fume, crache, siffle, nous brûle, prend de la place, mais si vous effectuez les premières manœuvres en vue de l’apprivoiser – lisez la notice ! – elle pourrait devenir votre meilleure amie et même, soyons fous, vous faire acheter des légumes. C’est la cocotte-minute, qui existe dans toutes les tailles et qui saura vous faire croire que vous savez.
Enfin, et parce que je sais que vous ne me croyez pas tout à fait, vous pouvez vous plonger dans « Un homme dans sa cuisine » de Julian Barnes. Ce petit livre vous raconte comment on peut se mettre à prendre plaisir à cuisiner.
C’est écrit par un anglais.
Tous les espoirs sont donc permis.
Repères