Il y a des regards perdus portés par des femmes-enfants fragiles. Il y a des écrivains sensibles qui les font vivre avec des mots simples, des mots brefs, des phrases courtes, comme fauchées avant d’avoir grandi.
Claire est entre parenthèses depuis le départ de Loïc. C’est elle l’aînée, mais c’était quand même lui le grand frère. C’est lui qui la défendait, qui l’entraînait. Elle ne savait pas quoi faire de sa vie alors il savait pour deux. Elle ne savait pas où aller alors qu’il se donnait les moyens de voyager. Et puis, un jour qu’elle était en vacances et parce qu’un père et son fils ne savent pas toujours se dire qu’ils s’aiment, Loïc est parti. A claqué la porte. N’est jamais revenu. Claire est restée seule. Trop seule, avec de temps à autre une carte postale. Je vais bien, ne t’en fais pas.
Les livres arrivent souvent par hasard. Celui d’un titre, d’un regard perdu sur une couverture, d’une mèche blonde. J’ai un trou de quelques années dans ma culture Française qui correspond à la sortie du film, aux césars. Alors lorsque je parle de l’ouvrage, on me répond par le film ; dialogue de sourds qui parlent de la même chose mais ne peuvent s’entendre. Je n’ai pas vu le film. Je n’ai pas non plus reconnu le visage de Mélanie Laurent sur la couverture. Peu importe. Et pourtant…
C’est un livre sur une vie où tout importe mais où rien n’a vraiment de sens. Olivier Adam nous mène dans un conte rythmé d’une langueur monotone. D’une plume rapide, il nous convie à palper la lenteur et le fragile équilibre de Claire, ses silences mal comblés ou ses phrases en suspension. C’est une œuvre douce où l’on se surprend à trouver dans la trivialité d’un quotidien sans lumière décrit avec des mots sans éclats, l’expression de sentiments complexes et forts, de silences signifiants et la lumière diffuse d’une vie à l’ouest du monde, sans envie d’avenir ni vraiment de présent, comme portée par l’aura de l’absent. Celle de ce frère vivant pour deux.
Cela fait deux ans que Loïc est parti. Claire venait d’avoir son bac. Elle aurait pu mourir mais ses parents l’ont maintenue en vie. Elle avance maintenant presque malgré elle, portée par son travail à la caisse du Shopi, rythmée par les listes de courses, les importuns, les rencontres improbables, les hommes qui passent, les faux amis, les faux semblants. Il y a les visites à ses parents, Paul et Irène, les cartes de Loïc.
À présent, il faut qu’elle le retrouve. Elle va louer une voiture. Elle va aller à Portbail. C’est de là qu’est partie la dernière carte. Elle ne dira rien à ses parents qui vivent dans le vide, interrompus, dépassés eux aussi, par ce départ, portés par le silence de ce père qui n’a jamais su parler et qui s’est vu faillir, celui d’une mère qui ne sait pas très bien quoi dire pour ne pas briser l’équilibre de sa fille.
C’est une histoire d’amour. D’un amour qui ne se dit pas par manque de mot mais qui tient ensemble ces petites brindilles qui, seules, partiraient au vent. C’est un grand petit livre à se procurer sans se faire prier pour entrer dans ce monde délicat où règne la fine silhouette de Claire et son charme fragile comme une larme de cristal.
Repères
Je vais bien, ne t’en fais pas de Olivier Adam
Roman
Le Dilettante – 1999