Le cinéma, c’est comme une boite de chocolat ; on ne sait jamais ce qu’on va trouver. Le pire est peut être que les plus beaux emballages sont souvent les plus décevants.
En terme d’emballage, Hollywood dispose d’une belle gueule cinégénique que les choix d’acteur rendent peu suspect de subtilité. Malgré un premier opus remarqué en tant que réalisateur, Ben Affleck a encore à prouver qu’il a sous le capot le potentiel d’un Clint Eastwood dont la carrière d’acteur ne donna pas non plus nécessairement dans la finesses.
A l’image du joueur de hockey que le personnage principal de The Town a failli être, ce film déboule de nulle part, esquive en finesse, décroche une mâchoire en loucedé, feinte le cinéphile. Et marque.
The Town est un pari casse-gueule. Un film à trois sujet. Le premier, le plus visible et le plus bruyant, est l’excellence d’un groupe de quatre braqueurs de banque emmenés par Doug McRay (Ben Affleck). Intelligents, préparés, organisés, Irlandais et prêts à tout, ils effraient, cassent du verre, des têtes, froissent de la tôle et tirent quelques balles sous le regard d’une caméra inventive et nerveuse qui ne craint pas de filmer la violence en plein soleil et encore moins de limiter le spectaculaire à une apparence de réalisme fort réussie. Les scènes d’action sont sobres, efficaces, rythmées et ne laissent pas un poil de sec. Les quatre hommes terrorisent avec bonheur, notamment la gérante d’une banque, dévalisée et kidnappée en guise de générique.
Ce qui n’était pas prévu était qu’elle entre dans leurs vies, ces vies qui constituent le second sujet du film, celles liées à ce quartier de Boston qui les a vu naître et qui les verra mourir s’ils sont en liberté à ce moment. Ce sont des vies diablement humaines aux portraits soignés jusqu’aux seconds rôles, Jem (Jeremy Renner) habité par la violence comme par un désespoir et sa sœur Krista (Blake Lively), prototype de fille perdu dont l’image éclaire toute ses consœurs bimbos, droguées, femmes et mères de peine, vies fragiles entourées de violence et de silences. Autour d’eux rôde l’agent Frawley (John Hamm) habité par une rage plus forte même que celle de ses proies. Et il y a elle, Claire (Rebecca Hall), habitante du quartier, de ceux qui sont honnêtes malgré tout, gérante de banque braquée, traumatisée par celui là même dont elle va tomber amoureuse, même si elle vit à mille lieux de ces milieux durs où les hommes cassent des cailloux, s’habillent chez Addidas et conduisent des véhicules bien trop gros pour ces petites rues.
Elle n’est pourtant qu’un prétexte celui qu’utilise Affleck pour parcourir la dépendance entre les personnes, les lieux et les évènements, et livrer un portrait réaliste et humain d’hommes et de femmes qui vivent et meurent pour et par les valeurs que leur caste imposée leur a légué. Et parce que Doug est sur une pente sortante et que Claire lui donne l’énergie pour la gravir (on parle de l’énergie du désespoir ; voici un bel exemple d’énergie de l’espoir), on voit se dresser l’ombre insatiable de la ville qui refuse le départ de ceux qu’elle a nourri et élevé. Troisième sujet. Sujet titre ; The Town (Ce devait être trop compliqué de traduire ce titre en Français).
Ben Affleck prend le risque immense de maltraiter un de ses sujets au profit d’un autre, et de massacrer ainsi tout l’intérêt de son histoire. Le film social ne fait pas un bon film d’action et un film d’action se contente aisément d’observations sociales de premier degré. Peu de réalisateurs mêlent les genres avec talent, mais Affleck tente un plus grand écart qui s’avère lumineux là où pointait le désastre et tente la démonstration sociologique en s’attachant à la ville.
Il livre alors un film surprenant, dense, racé, nerveux, d’une violence intelligente (et Dieu sait si ces mots se marient mal). Si l’ensemble reste perfectible, l’équilibre délicat de cette histoire est particulièrement réussi. Il fallait des acteurs de talent pour servir son propos ; il est sans doute le moins talentueux de tous. Il fallait un réalisateur de talent pour parvenir à ce résultat.
Quand on ressort un peu assommé de ce film si Américain par ses hommes, si peu Américain par sa sobriété et si universel par ses thèmes, on ne peut que penser que ce pays est encore la terre de possibles artistiques, même si, là-bas comme ailleurs, les villes forgent et façonnent les hommes aux forceps.
Repères
The Town
Film Américain de Ben Affleck
Avec Ben Affleck, Rebecca Hall, Jon Hamm…
Vu en VOSTF