J’ai les glandes lacrymales sélectives, la larme facile à des moments choisis. Par exemple, je sors à peu près tous les matins du métro avec les joues humides parce que bailler me fait pleurer. Et je baille beaucoup, le matin, dans le métro (en moto, j’ai moins le temps de bailler et les larmes gercent les joues, alors j’évite de m’endormir). Impossible alors de retenir mes larmes pour éviter l’inondation et surtout, pour tenir mon rang d’homme.
Parce qu’un homme, ça ne pleure pas, vous savez.
C’est ce que j’ai entendu dire. J’ai entendu mes parents le dire. J’ai entendu d’autres parents, grand-parents. J’ai même entendu un animateur de centre de loisirs le dire à mon fils. Les grands garçons ne pleurent pas.
Mais moi, j’ai la glande lacrymale sensible. Elle tressaute pendant la pub avec le chiot trop mignon avec son ruban autour du cou (ne cherchez pas ; je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans… enfin, mettons quinze… ah non, zut… ne peuvent pas connaître). J’ai l’œil humide sur le dernier paragraphe d’une jolie histoire pour enfant et la vue qui se trouble quand je prends un coup de porte dans le nez (heu… mauvais exemple).
Sauf qu’un homme, ça ne pleure pas, vous savez.
C’est peut-être pour ça que le contact du marteau avec mes doigts, le rebord d’une tombe, la peine, la douleur des autres, me laissent les yeux secs.
Parce que les grandes douleurs sont muettes ?
Ou parce que les hommes ne sont pas des fillettes ?
Tu ne vas pas pleurer comme une fille ?
Les grands garçons ne pleurent pas
Ouh, le bébé [qui pleure]
Tu es un homme ou une femelette ?
Sèche tes larmes : sois un homme.
Pourquoi les filles ont-elles le droit de pleurer ? Quel est l’imbécile dangereux qui a énoncé que pleurer, c’est faiblir ? Que l’homme, chargé de famille, chef de tribu, défenseur de grotte n’a pas le droit de décharger ses émotions, ses frustrations, ses peurs et ses douleurs sur ses joues ?
Qui déteste à ce point la moitié de l’humanité pour lui intimer de murer ses souffrances dans le silence, d’entasser ses frustrations derrière ses yeux trop secs, trop forts, trop durs comme ces murailles qui finissent par fissurer sous trop de pression ?
Pleurer, c’est apprendre à exprimer ses émotions ; peine, douleur, frustration. Avec l’âge, la parole remplace certaines larmes, à condition de se les être autorisées.
Que fait un enfant empêché d’exprimer ses frustrations parce qu’il ne sait pas encore parler ?
– Il pleure (Mamaaannnnn, le méchant il m’a pris le râteau)
– Il frappe (Connard !) avec la pelle, le cas échéant : lisez l’article “Infans Sapiens” où je reviens sur les jeux d’enfants.
– Il mord, si nécessaire (Tu vas le lâcher ce râteau, oui ?)
Mais les hommes ne mordent pas. Les hommes ne pleurent pas non plus.
Frapper, par contre, c’est toléré… En tout cas, les héros frappent les méchants dans les films. Même Tintin. Même Raiponce. Parce que frapper, c’est comme la fessée ; ça résout le problème. Enfin, si c’est toi le plus fort.
Pleurer sert à vider le trop plein d’émotions. Laisser pleurer, c’est apprendre que c’est bien de le vider. En grandissant, les pleurs se transforment. Il deviennent alors parole, action, ou parfois, restent larmes mais leur objet demeure : ne pas laisser l’émotion envahir. Ne pas se laisser nécroser par la peine, la frustration, la douleur.
Apprendre à son enfant à ravaler ses larmes, c’est tisser avec amour la camisole qui enfermera des torrents d’émotions derrière le masque d’un enfant sage dont on ne saura jamais vraiment pourquoi il se bat à l’école, pourquoi il frappe sa soeur, puis sa femme, a été interdit de stade et déteste les gens heureux à force d’envier leur air détendu. Ou peut être rien de tout ça, jusqu’au jour où les voisins diront qu’ils n’auraient jamais cru ça de lui. (1)
Laissez pleurer les garçons pour en faire des hommes forts. Des vrais.
(1) Nota : La violence est peut-être le plus commun, mais pas le seul effet délétère de la difficulté à exprimer/assumer ses émotions. Et cette difficulté n’explique pas non plus toutes les violences. J’ai fait le choix de me limiter à cet aspect, mais le choix est large, hélas.
Pcque pleurer c etre humain : [Nouvel article] Laissez pleurer les hommes – http://t.co/n71ZAhN1yz http://t.co/RIRgQBmfap”
Très bel article … Et je dois avouer que je suis du genre à avoir les larmes qui viennent facilement, surtout quand il est question d’enfants en danger ou d’injustice, mais aussi quand je suis confronté à de belles choses. Comme toi je pense qu’être viril, c’est assumer sa part de sensibilité, et quelques larmes.
Merci pour ton commentaire. Je me sens moins seul. Ou plutôt moins isolé, car nous sommes finalement assez nombreux à penser de la sorte.
Encore un très beau texte,-)!
J’ai l’impression de moins l’entendre aujourd’hui de la bouche des jeunes parents que de notre temps;-)
Même interrogation cependant; -)
Merci Steph. Je l’ai particulièrement entendu ces derniers temps, mais c’est vrai que cela semble moins systématique qu'”avant”.
J’ai la larme facile… Je pleure devant des séries gnan-gnans, je pleure quand je suis confrontée au chagrin ou à la détresse des autres, mais je ne pleure pas quand je suis sensée le faire…
J’ai perdu ma grand-mère la semaine dernière et je n’ai pas pleuré, mais je pleure en regardant les vidéos de Welcome Home Blog…
Il n’y a pas que pour les garçons que pleurer est un signe de “faiblesse”. Pour les filles, ça peut l’être aussi.
Peut-être ai-je trop pleuré gamine, peut-être ai-je trop pleuré au début de ma vie de femme…
Pour certaines personnes: c’est les larmes qui déterminent la fin du “combat”, c’est le plaisir ultime dont ils se délectent.
Et je ne leur ferai plus jamais ce plaisir-la. Beaucoup de femmes d’aujourd’hui se cachent pour pleurer, puis ça tombe bien l’égalité homme-femme fait aussi beaucoup parler d’elle aussi en ce moment^^
Je laisse mes enfants pleurer lorsqu’ils sont tristes, lorsque leur colère n’est plus maitrisable, lorsqu’ils trouvent tout injuste… Et j’espère que ma fille comme mes fils seront capables de pleurer plus tard, si le coeur leur en dit. J’espère qu’ils n’auront pas de “combat” à gagner…
Après tout c’est comme ça qu’on fait, quand on est parents non? On ne leur souhaite que le meilleur et on fait en sorte que ce qui nous a brisé, ne les brise pas.
Merci pour ton commentaire. Que pleurer soit considéré comme de la faiblesse est effectivement valable pour les deux sexes mais c’est aux larmes de devenir normales et non à la sécheresse. L’égalité hommes/femmes était bien entendu en filigrane dans ce texte, tu l’as bien compris.
Sur un autre point, je ne sais pas si nos yeux s’assèchent vraiment d’avoir trop pleuré. Cela signifierait que l’on se retient ou que l’on est moins atteint, et c’est vrai que ça arrive. Quand à savoir si c’est souhaitable, je n’ai pas la réponse.
Quel texte magnifique! Très émouvant. Moi aussi, j’ai la larme facile. Mon père avait la larme facile lui aussi. Oh combien de fois j’ai vu les gens se moquer de ses larmes! Un homme adulte, çà ne pleure pas voyons. Je suis maman solo d’un enfant de deux ans, je ne supporte pas qu’on lui disent que les garçons çà ne doit pas pleurer, moi je lui dis qu’il a le droit de ressentir, et de le montrer, comme tout le monde. Merci pour ce texte.
Merci pour ce commentaire très adapté. Je te souhaite d’avoir, comme moi, le plaisir d’entendre quand il aura 7 ans :
– Les grands garçons ne pleurent pas.
– N’importe quoi !
(je me suis retenu de rire, ce jour là. J’ai validé, par contre)
Très bel article. Et très, très vrai. Dans mon couple on est le cliché : Je pleure beaucoup, facilement. Et je suis toujours étonnée quand je me dis qu’en 15 années de vie commune j’ai du voir mon pacsé pleurer…deux petites fois. Et comme je n’ai pas compris quand il n’a pas pleuré à la mort de ses grands parents (alors que moi, si) Est-ce l’éducation, la pression de l’entourage, de la société toute entière ? Est-ce que c’est juste “pas son truc” ? Ou un peu des deux ? Bref. Aujourd’hui je sais que y’a un p’tit gars dans mon ventre et que jamais, jamais je ne lui dirais : “Les garçons, ça pleure pas” : cette phrase, elle est trop nulle, définitivement.
Merci, tu donnes un bon exemple et je ne me risquerai pas à donner un avis sur la sécheresse lacrymale de ton conjoint. Nous avons tous une histoire différente et l’important est juste de ne pas se laisser déborder par ses émotions.
C’est vrai, cette phrase est nulle. “N’importe quoi”, dirait Ti-cul, mais elle fait terriblement écho. Je suis sidéré par l’abondance de commentaires 🙂 Je n’ai pas l’habitude.
Bonsoir,
Encore un très beau post. J’en ai la larme à l’œil. 🙂
Laissons les larmes coulées. Mais n’oublions pas que parfois l’émotion est si forte que les yeux restent secs.
Parce que j’adore les livres…. Voici un titre pas tout jeune d’ailleurs (que les moins de 20 ans…) :
Qui pleure?
Publié aux éditions du sourire qui mord (ne le chercher pas vous le trouverez seulement en bibliothèque) de Christian Bruel , Anne Galland et Anne Bozelec.
Pour en savoir plus vous pouvez vous rendre sur le site : http://lajoieparleslivres.bnf.fr/masc/Integration/JOIE/statique/univ/interfaceschoisies/Sourire_qui_mord/rubrique_edition_albums.html
Bon week end et bonne lecture. 🙂
Bonjour Be, et merci pour ce lien qui ne rajeunit effectivement. J’aime particulièrement la conclusion du petit résumé “Tu sais maman, ça ne va pas toujours mal quand on pleure !”
C’est tellement vrai! Il arrive que l’on pleure de rire !
A quand un post sur le rire… Celui des enfants…. Si émouvant. 🙂
Bonne semaine
Voilà un beau sujet. On verra ce que cette capricieuse d’inspiration en fera. Bonne semaine
Les larmes d’un homme jean de Toulon
Dans le froissement de nos draps
Prends-moi dans tes bras
Le parfum de ta peau
Me transcende et m’enivre
Et mon âme ivre
Tel un bateau
Vers ton cœur s’en va.
Oh, toi ma femme
Mon flambeau
Mon oriflamme
Mon plus beau joyau.
Ta douce chaleur
Exalte notre bonheur
Et ravive le feu
Amoureux
Qui brûle en moi !
Ouvres-moi encore tes mains
Pour y nicher tous mes chagrins
Caresse encore mes cheveux
En un geste langoureux
Sans toi vois-tu
Je ne suis plus rien
Qu’un homme au cœur nu
Face à son destin
Pourquoi as-tu desserré tes bras
Sacrifié notre histoire
Où nous avions écrit
Durant vingt ans
Nos plus belles pages d’amour
Souviens-toi
A l’église
Dieu avait dit
Jusqu’à ce que la mort nous sépare
Pourquoi lui avoir désobéi
Et brisé les amarres.
Mon amour
Tu fus pour moi un rêve
Doux et délicieux
Une histoire trop brève
Et je te dois cet aveu
Les hommes pleurent aussi
Mais, la nuit.
SEULS
Très joli. Merci pour cette belle participation pleine d’émotions.