Les villes et villages de France -“ et de quelques voisins Européens -“ sont à cette période de l’année envahies par un curieux champignon, probables talles de sapin de Noël ressemblant à des cabanes en bois blanc abritant généralement des produits de l’artisanat, du terroir et même quelques artistes. On les appelle les marchés de Noël.
Certains s’étalent négligemment le long de trottoirs qu’ils encombrent, et d’autres se rassemblent en villages de schtroumpfs rouges (à cause du froid) disposé le long de rues tracées au cordeau. Une fois toutes ces cabanes ouvertes aux vents et aux croquants, le bazar qui règne dans les allées fait rapidement perdre de son évidence cet outrageux manque de poésie urbanistique.
Je regrette la disparition de celui de ma petite ville. Bien calé sur une Grand-Place modeste, il avait le mérite d’être suffisamment peu étendu pour permettre, en quelques pas, de s’éloigner de la cohue, reprendre souffle sur le côté avant de replonger, en apnée et en jouant des coudes dans les allées encombrées de vies résignées à la promiscuité.
Je me suis récemment et plus ou moins fortuitement retrouvé sur un des plus grands marchés de Noël d’Ile de France. C’était heureusement un petit matin rafraîchissant qui n’inspirait pas encore trop de monde. J’ai ainsi pu savourer le charme de toutes ces bicoques consacrées au bien être et au bien faire. Se dégageaient des gouailles de maraîchers, des amours du travail bien fait, du beau geste qui crée les jambons, saucissons, bretzels, blocs de foie gras et autres confiseries (j’admet une réserve concernant les chichis et kebabs), tout comme les santons, couteaux, jeux et accessoires en bois, peintures, sculptures, bijoux, fait à la main et non par une machine-outil asiatique.
L’artisan, lui, peut être asiatique sans contrevenir à l’ordonnancement général. Il est aussi Indien, sud-américain ou Basque.
Cette profusion artisanale a un charme suranné qui donne l’illusion de représenter ce qu’étaient les rues de nos villes dans un autrefois romantique et imaginaire, avant l’arrivée des franchises, ces chaînes si pratiques pour retrouver partout la même chose. Pour limiter la diversité. Les choses font semblant d’y être « comme avant ». Comme quand j’étais petit où les marchands de marrons chauds n’étaient pas pakistanais. Celui là, en plus, est propre et rasé. Pas comme quand j’étais petit. C’est bien ce que je disais.
C’est un village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, perdu entre les temples commerciaux qui le cernent et tente de ressusciter une certaine idée du bon goût -“ sauf peut-être le sex-chalet -“ du bien, bon et amoureusement fait.
Le sandwich au foie-gras braisé avec sauce aux truffes dans une main, le vin blanc doux offert dans l’autre, j’ai savouré l’impression de paix de Noël et ai quitté cette petite bulle de vies aux senteurs de saucisse chaude, de cannelle et de sucre avant que la Défense ne déverse sur le parvis ses hordes de travailleurs affamés et ne révèlent à mes yeux qui ne veulent pas les voir, sous quelque hutte gauloise, des marchands du temple.