Le cinéma américain commence doucement à prendre l’habitude de faire traverser l’océan Atlantique à des films d’auteur portés par des acteurs inspirés. Il y a pourtant dans le premier film de Tom Ford – le styliste, oui – tous les ingrédients pour une soupe lourdingue à la mode US et cela rend le résultant d’autant plus séduisant.
George Falconer est britannique, professeur d’université à Los Angeles et tente de se remettre de la mort de Jim, son compagnon. Nous sommes en 1962, Cuba nargue l’Amérique de ses missiles, la guerre froide est donc au summum de sa fraîcheur et les sentiments envers les gays ne sont pas plus cordiaux que ceux envers les communistes. George forme avec sa voisine Charley qui se bat à coup de gin contre l’incertitude du lendemain affectif, un couple d’anglais à la dérive dans leur rêve américain. Si l’on ajoute des voisins dont le couple ne semble pas en pleine forme, un chien disparu qui peut donc nous la jouer Lassie sans heurter le spectateur moyen et des éphèbes aux yeux baignés de lumière et des paillettes du désir, tous les ingrédients sont réunis pour un mélo gay suintant de bonnes intentions.
Mais Tom Ford, pour son coup d’essai, semble avoir voulu un coup de maître et surtout voulu un film sur la solitude, sur le vide posé par l’absence et la persistance du deuil. Celui de George Falconer, bien sûr, d’autant plus difficile à vivre qu’il ne peut être partagé qu’avec son amie Charley, mais aussi celui plus intime de Charley, entre amour impossible et enfants perdus. Alors le voisin et son sale môme, les communistes et le chien disparu ne sont que le décor au milieu duquel George tente chaque jour de trouver la force de vivre seul, de s’habiller comme on met un déguisement ou son costume funéraire, de n’avoir que Charley et ses souvenirs, à la fois pour s’y raccrocher et pour le faire sombrer.
La seule esquisse de cet environnement riche – et par là même, le refus d’exploiter un potentiel scénaristique qu’envieraient bien des blockbusters – crée le vide et l’absence que le cinéaste instille en nous dès la première minute avec une scène muette, anthologie de lenteur cinématographique.
Le film s’attache à une journée. Une journée spéciale dans la vie du professeur Falconer, mais qui commence comme les autres, trop tôt, dans une maison trop grande et trop silencieuse. Chaque plan ciselé, le rythme d’une lenteur assumée et le silence porté par une bande sonore parfaite nous font entrer dans la solitude quotidienne habilement coupée de flashbacks, jamais gratuits, lorsque trop de lenteur, trop d’émotion ou trop d’inconnues menacent de nous faire décrocher.
Peu de mots naissent du hasard, peu de plans n’ont rien à dire et la caméra inspecte lentement de son esthétisme forcené chaque émotion, ou non émotion, qui transpire littéralement d’un Colin Firth qui porte là magnifiquement un grand rôle.
Nous vivons avec lui cette journée où George manipule son revolver avec on ne sait quelle réelle conviction, se laisse porter par ces regards qui répondent à l’absence et ceux qui font naître le retour du désir, instant paradoxal du deuil entre le doute, la peur et l’envie de donner une chance à la vie.
On se surprend à se laisser imprégner par cette tentation du désir – quelque peu déroutante pour un hétérosexuel diplômé, mais sans doute similaire à ce que certaines de mes consœurs déclaraient à la sortie de Mulholland Drive – et la fin nous délivre et nous laisse en paix sans céder à la facilité.
Je n’irai pas crier au chef d’œuvre même si l’on tient là un grand film avec de grands acteurs – la performance de Julianne Moore est également de haut vol, et tous les rôles secondaires sonnent terriblement juste – ne serai-ce que par quelques imperfections ou longueurs.
Je ne vous dirai pas non plus d’y aller en courant, mais c’est parce qu’il vaut mieux y aller lentement pour se mettre dans le rythme. Je vous dirai en tout cas d’aller le voir si vous voulez un film beau, sensible et pudique, d’une lenteur et d’un esthétisme léché qui ne parlera certes pas à tout le monde, mais qui, à ceux qui s’y adonneront, réserve des chapelets d’émotions.
Repères
A Single Man film de Tom Ford
Film américain de Tom Ford avec Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult…
Fiche Allo Ciné
Voilà, ce sont bien les sentiments qu’est censé apporter ce film. Pour ma part, ça a fonctionné.
Colin Firth est vraiment mon acteur fétiche. Il est “éblouissant” dans ce rôle.
C’est le film qui m’a révélé Colin Firth. Jusque là, il m’était tellement indifférent que je ne savais pas si je l’avais vu dans autre chose que Bridget Jones (en fait, si, notamment “Shakespeare in Love” qui a un casting aujourd’hui considérable). Depuis… c’est un Grand.